Salutations Pr ELY,
J’aimerais partager avec vous quelques pistes de réflexions sur le sujet de l’abus de pouvoir (et de manière plus générale aussi sur la démocratie, terme largement galvaudé et trahit, en particulier dans les pays dit « occidentaux » et prétendument démocratiques).
Comme vous, je recherche les causes qui pourraient expliquer l’origine de ces rapports de dominants à dominés et des abus que cela induit. Au cours de mes recherches, plusieurs éléments de réponses se sont combinés pour former un tableau qui m’apparait assez cohérent.
A) La civilisation :
En étudiant et en comparant les modes d’organisations sociales entre d’une part, les peuples du paléolithique et d’autre part les civilisations issues du néolithique, il y a déjà un élément important à prendre en compte, me semble-t-il.
Globalement, la révolution néolithique a progressivement amené une rupture majeure dans l’ordre social, en imposant, au fil des siècles, le mode de vie sédentaire qui a de proche en proche remplacé le mode de vie nomade et semi-nomade. Qu’est-ce que cela change ? De façon générale, il apparait que la structure sociale a radicalement changé depuis cette époque et est passée de relations horizontales (égalitaires, anarchiques - au sens de contraire de hiérarchique) à des modèles de relations verticales (inégalitaires, hiérarchiques - il est à faire remarquer que le mot « hiérarchie » désigne à la fois le commandement, mais également ce qui est archaïque...).
Contrairement à ce qu’affirme une croyance populaire, il existe des preuves qui montrent que nos ancêtres communs issus des peuples premiers, qui vécurent avant la révolution néolithique, ne vivaient pas dans un état de conflits perpétuels et d’extrême rareté, comme bien des anthropologues le prétendaient naguère. En fait, les sociétés de chasseurs-cueilleurs avaient constitué un système social unique immergé dans un paradigme environnemental à la fois restrictif et auto-régulé : la symbiose avec l’environnement était assurée par la nécessité de survie, mais n’était pas vécue comme une contrainte calamiteuse - ce que nous croyons encore trop souvent. Avant l’avènement de l’agriculture, l’homme n’exerçait aucun contrôle sur les ressources disponibles.
En ce temps-là existait un équilibre naturel. Les sociétés elles-mêmes semblaient refléter cet équilibre naturel, étant donné qu’elles étaient constituées de structures sociales non hiérarchiques, non compétitives et dénuées de dirigeants. On a découvert que leurs systèmes de valeurs sociales étaient essentiellement fondés sur l’égalité, l’altruisme et le partage. L’arrivisme, la domination, l’agression et l’égoïsme étaient proscrits. Nous savons cela grâce aux recherches anthropologiques qui furent menées parmi les quelques sociétés de chasseurs-cueilleurs qui restent dans le monde.
Aussi étonnant que cela puisse paraître – vous pourrez opposer cet argument à tous ceux qui vous disent que le système actuel est « naturel » – il apparait que plus de 90 % de l’existence de notre espèce sur cette planète a eu lieu au sein d’organisations sociales qui n’avaient pas recours à l’argent, qui ne connaissaient pas la hiérarchie et qui utilisaient même des stratégies de non-discrimination ; j’entends par là que la majorité des individus s’unissait pour stopper toute personne qui essayait de s’emparer du pouvoir et de contrôler les autres.
La révolution néolithique mit fin à tout cela. Elle permit aux êtres humains de contrôler intentionnellement leur environnement. La préservation de la vie était désormais une affaire de volonté. On pourrait croire, de prime abord, que tout le monde tira grand profit de cette révolution (c’est ce que j’ai toujours appris à l’école ou dans les livres d’histoire : « les progrès de la civilisation ont été d’un bénéfice incalculable pour l’Homme »), mais elle a également introduit de graves problèmes sociaux auxquels nous sommes encore confrontés aujourd’hui et qui trouvent leurs racines aux fondements mêmes de nos civilisations.
Avec la civilisation sont venus les classes sociales et les gouvernements (hiérarchies), l’explosion du taux de natalité, les besoins croissants en ressources, les razzias et les guerres que cela implique, l’esclavage, et bien sûr, les religions, d’abord polythéistes (Sumer, Babylone, Égypte, Celtiques, Grecs, Nordiques, Indes, etc.) puis à partir de -1300 environ, le monothéisme (je situe l’origine du monothéisme au chiisme d’Akhenaton, « le pharaon hérétique » - voir le livre de Messod et Roger Sabbah, Les secrets de l’Exode, l’origine égyptienne des hébreux). Vous avez d’ailleurs assez justement analysé le rapport conditionnant de la figure divine comme l’un des modèles du dictateur par excellence : l’autorité dominatrice suprême, que personne ne peut contester et à laquelle tous doivent se soumettre...
B) L’environnement socioculturel :
A partir de cette analyse du contexte historique, nous arrivons à l’analyse du rapport entre l’homme et son environnement, et notamment, pour ce qui concerne l’homme civilisé, de l’environnement socioculturel. En étudiant Darwin on découvre que ce qui caractérise l’évolution de toute forme de vie est la faculté d’adaptation. Pour perpétuer l’espèce, il s’agit avant toute chose d’être capable d’évoluer par adaptation aux changements de l’environnement. Vous pourrez opposer cela à tous ceux qui affirment - faussement - que ce qui caractérise une espèce dominante est la « loi du plus fort » ; en réalité, il a été démontré que d’innombrables formes de vie ont développé des stratégies de collaboration plutôt que de compétition pour survivre et s’adapter. La compétition relève d’avantage d’un sophisme capitaliste que d’une réalité ethnologique.
Cette caractéristique fondamentale - la faculté d’adaptation - se traduit chez l’homme civilisé dans le fait de s’adapter au contexte socioculturel dans lequel on nait et on évolue. Si nous vivons dans un contexte hiérarchique, de classes sociales, avec une compétition où « il n’y en a pas assez pour tous », et où, par conséquent, les rapports humains sont conflictuels et compétitifs, il s’ensuit que nous intégrons ces facteurs dans nos comportements dans le but de pouvoir vivre ou survivre dans la société : d’où une violence endémiques dans nos sociétés civilisées. Pareillement, nous pouvons observer que dans des sociétés où règne la collaboration, la bienveillance mutuelle, l’entraide, le partage et la paix, les individus développent des qualités d’altruisme, de partage et d’entraide (exemple, les communautés Amish au USA).
Des recherches en épigénétique ont démontré que s’il existe bien une relation entre le patrimoine génétique et certaines caractéristiques comportementales, c’est avant tout l’environnement socioculturel qui influence le comportement humain, jusqu’à modifier le code ADN de certains gènes. Cela signifie que nos comportement sont bien de l’ordre de l’acquis et non de l’ordre de l’inné. Or, le contexte socioculturel n’est pas une fatalité, nous pouvons participer à son changement et à son évolution.
C) L’environnement politique :
Selon Aristote, il (n’)existerait (que) trois forme de gouvernement :
a) la monarchie, qui se caractérise par le gouvernement d’un seul, désigné par l’hérédité du sang (la tyrannie serait l’avatar obscure de ce mode de gouvernement).
b) l’oligarchie, qui se caractérise par le gouvernement d’un petit nombre, désignés par l’élection (l’aristocratie serait l’avatar lumineux de ce type de gouvernement).
c) la démocratie, qui se caractérise par le gouvernement du grand nombre, et qui tire son égalité du tirage au sort des magistrats.
Première information, et pas des moindre : la démocratie dépend non pas de l’élection, mais du tirage au sort ! Depuis plus de deux cent ans l’on ne cesse de nous répéter « démocratie = élections / élections = démocratie ; répète mon petit » et, à force de l’entendre toujours et partout, forcément, nous y croyons. Or, la définition même du mot élection démontre le contraire : élire c’est choisir ; choisir qui ? Le candidat que l’on considère le meilleur ; « le meilleur » se dit en grec aristos (l’avatar lumineux de l’oligarchie, gouvernement du petit nombre). Aristote, Montesquieu ou Rousseau l’on affirmé, l’élection est oligarchique, le tirage au sort est démocratique. Les pères fondateurs de nos gouvernements (prétendument) représentatifs le savaient (c’étaient des hellénistes, des érudits), et ils l’on d’ailleurs écrit (il faut les relire) : ils ne voulaient pas de la démocratie, ils voulaient un gouvernement représentatif. Et c’est exactement ce que nous avons, sauf que depuis Tocqueville, nous appelons cela par le terme qui désigne son stricte contraire : la démocratie. Pour développer ce sujet, voyez Le Plan C d’Étienne Chouard et écoutez ses vidéos, elles sont édifiantes.
En conclusion, l’abus de pouvoir et la tyrannie ne sont pas une fatalité, mais sont les conséquences de modes d’organisation sociale dysfonctionnels (hiérarchies, classes sociales, inégalités), dût à des croyances et un rapport inadéquat et autodestructeur avec les rythmes naturels (religions, idéologies dominatrices), qui contribuent à conditionner les croyances et les comportements humains (influence du contexte socioculturel) qui ont donné lieu à des politiques fondées sur la domination, le contrôle, la hiérarchie et l« inégalité, et les ont intégré comme étant »naturels" (donc fatalité incontournable), alors qu’ils sont artificiels. Le pouvoir rend fou, il corrompt l’âme et l’esprit, quel que soit celui qui est confronté.
Une fois bien diagnostiquées les causes, il devient possible de trouver les remèdes.
Cordialement,
Morpheus
08/12 11:16 - Pr ELY Mustapha
@eau-du-robinet Merci pour la référence. Oui d’accord avec vous. E. Chouard démontre (...)
08/12 10:56 - Pr ELY Mustapha
@Morpheus, Salutations Morpheus, Merci beaucoup. J’ai lu avec attention votre (...)
08/12 10:39 - Pr ELY Mustapha
@ddacoudre « Le rat et moi », superbe article d’expérimentation. Notamment le constat à (...)
08/12 00:05 - Malabar
07/12 12:46 - Morpheus
« Ils (les oligarques) nous ont volé le mot démocratie. C’est très malin, car cela nous (...)
07/12 09:19 - ddacoudre
bonjour pr ce n’est pas courant de lire un article qui s’attache à la structure (...)
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