La
colonne chargée d’occuper l’Hôtel−de−Ville suivit les quais des Tuileries, du Louvre
et de l’Ecole, passa
la moitié du Pont−Neuf, prit le quai de l’Horloge, le Marché−aux−Fleurs, et se
porta à la place de Grève par le pont Notre−Dame. Deux pelotons de la garde
firent une diversion en filant jusqu’au nouveau pont suspendu. Un bataillon du
15e léger appuyait la garde, et devait laisser deux pelotons sur le Marché−aux−Fleurs.
On
se battit au passage de la Seine sur le pont Notre−Dame. Le peuple, tambour en
tête, aborda bravement
la garde. L’officier qui commandait l’artillerie royale fit observer à la masse
populaire qu’elle s’exposait inutilement, et que n’ayant pas de canons elle
serait foudroyée sans aucune chance de succès. La plèbe s’obstina ;
l’artillerie fit feu. Les soldats inondèrent les quais et la place de Grève, où
débouchèrent par le pont d’Arcole deux autres pelotons de la garde. Ils avaient
été obligés de forcer des rassemblements d’étudiants du faubourg Saint−Jacques.
L’Hôtel−de−Ville fut occupé.
Une
barricade s’élevait à l’entrée de la rue du Mouton : une brigade de Suisses
emporta cette barricade
; le peuple, se ruant des rues adjacentes, reprit son retranchement avec de
grands cris. La barricade resta finalement à la garde.
Dans
tous ces quartiers pauvres et populaires on combattit instantanément, sans
arrière−pensée : l’étourderie
française, moqueuse, insouciante, intrépide, était montée au cerveau de tous ;
la gloire a, pour notre nation, la légèreté du vin de Champagne. Les femmes,
aux croisées, encourageaient les hommes dans la rue ; des billets promettaient
le bâton de maréchal au premier colonel qui passerait au peuple ; des groupes marchaient
au son d’un violon. C’étaient des scènes tragiques et bouffonnes, des
spectacles de tréteaux et de triomphe : on entendait des éclats de rire et des
jurements au milieu des coups de fusil, du sourd mugissement de la foule, à
travers des masses de fumée. Pieds nus, bonnet de police en tête, des
charretiers improvisés conduisaient avec un laisser−passer de chefs inconnus
des convois de blessés parmi les combattants qui se séparaient.
Dans
les quartiers riches régnait un autre esprit. Les gardes nationaux, ayant
repris les uniformes dont on les avait dépouillés, se rassemblaient en grand
nombre à la mairie du 1er arrondissement pour maintenir l’ordre. Dans ces
combats, la garde souffrait plus que le peuple, parce qu’elle était exposée au
feu des ennemis invisibles enfermés dans les maisons. D’autres nommeront les
vaillants des salons qui, reconnaissant des officiers de la garde, s’amusaient
à les abattre, en sûreté qu’ils étaient derrière un volet ou une cheminée. Dans
la rue, l’animosité de l’homme de peine ou du soldat n’allait pas au delà du
coup porté : blessé, on se secourait mutuellement. Le peuple sauva plusieurs
victimes. Deux officiers, M. de Goyon et M. Rivaux, après une défense héroïque,
durent la vie à la générosité des vainqueurs. Un capitaine de la garde,
Kaumann, reçoit un coup de barre de fer sur la tête : étourdi et les yeux
sanglants, il relève avec son épée les baïonnettes de ses soldats qui mettaient
en joue l’ouvrier.