Je vois le problème depuis un endroit plus hors-d’ici
Depuis cet extérieur, je trouve notre langue très dure dans son usage
Les mêmes mots, les mêmes verbes et qualificatifs mais avec une forme syntaxique à peine différente d’allure aurait gros effet de changement
Lorsque je dis « Cet élève est paresseux » je suis impérial.
Je n’invite personne, pas même l’élève, à dire le contraire.
De plus, je définitise mon jugement.
Car j’aurais pu dire « Cet élève a dénoté de paresse »
Ce qui aurait été la stricte vérité puisque qu’il a eu ce comportement avant mon jugement
A quoi sert la conjugaison et la subtilité des modes dont certains se gargarisent si c’est pour ne pas les respecter strictement lorsqu’on juge quelqu’un ?
Cette définitisation augmente encore mon impérialisme.
Je n’invite personne à dire autre chose aujoud’hui mais aussi dans cent ans.
Je prononce un jugement sans appel immédiat ni futur.
Je me prends pour le Dieu abrahamique tel qu’il a été utilisé par tous ceux qui ont envoyé des gens au bûcher.
La Révolution a eu gros effet concernant l’égalité des droits sur le papier et aussi dans les faits, dans une large mesure.
Mais cette révolution par le droit, ne s’est pas accompagnée d’une révolution par la manière de parler.
Nous avons pris l’habitude de nous donner du monsieur mutuel et de nous qualifier de co-citoyens ou concitoyens mais nous avons conservé la manière de parler de l’Ancien Régime.
Nous parlons tous comme des rois.
Enfant roi ?
C’est une blague !
Une contre-vérité
L’enfant va certes devenir roi mais pendant 25 ans d’Ecole il est traité par des professeurs pratiquant un logos de roi
Il n’y a aucune différence de manière de parler entre ce prof et nos rois.
Je crois que nous devrions aller, au moins de temps en temps, vers
« Cette voiture m’est jolie »
« Ce crapaud m’est laid »
Nous pratiquons parfois « Je trouve que c’est magnifique » mais nous allons bien plus souvent et inconséquemment à « C’est magnifique »
Ivrogne, lâche, menteur, voleur paresseux, glandeur, tous ces mots sont définitisants voire professionnalisants
Nous le savons tous et c’est grande cruauté mutuelle que de feindre l’ignorer, ces étiquettes, que nous posons compulsivement sur tout et en étant le premier à le faire (Idem que pour les Everest) ont dévolution à ne pas être décollées. Elles sont conçues pour tatouer à vie ce que nous marquons.
M’enfin, qui sinon les rois, se permettait de marquer les gens au fer rouge ?
Le pire, c’est que nous sommes bien plus royalistes que le roi (Contrairement au roi, un serviteur est souvent plus serviteur qu’autre chose donc zélé à appliquer un principe à la lettre)
Il y a des types qu’un même roi avait embastillé plusieurs fois. Pourquoi plusieurs fois, pourquoi pas définitivement ?
Bin parce que nos rois, n’étaient pas tous si définitifs que nous l’imaginons. Le principe permettait au roi d’être définitif mais en application bien des rois n’ont condamné que pour quelques jours, puis encore quelques jours si le type recommençait.
De même que le deuil a un temps, une durée limitée, une disgrâce royale avait une durée. Un roi qui oubliait ses condamnés dans une oubliette n’était aimé de personne et terrorisait tout le monde.
Les notes et commentaires attribués aux mômes des écoles datent de Jules Ferry. C’était l’époque où les Européens étaient ivres de tout coloniser.
Ce colonialisme en « Je plante mon drapeau alors ceci m’est définitivement aliéné » a certes fait très mal aux peuples colonisés mais également à nous-mêmes.
L’esprit impérialiste, qui ne se discute pas, a été imposé à des petits enfants de France sans que personne ne se soit dit qu’on délirait
La pensée, la personnalité, l’image de chaque enfant ont été colonisés par des profs se concurrençant à celui qui y planterait son drapeau le plus aliénant
Tant en « Très bien » qu’en « Très mal »
Il s’agissait de faire mieux et plus vite que l’Eglise qu’il fallait abattre.
Avant les Buffon-Cuvier-Darwin, personne n’avait eu l’idée de balancer des étiquettes sur tout et surtout aussi définitives
On trouvait une bestiole, on lui collait un nom et ça devenait son étiquette universelle définitive
Si la bestiole semblait laide, bien on lui colllait un nom latin signifiant laid
La moindre particularité d’une mouche lui valait une étiquette spéciale.
Pareil avec les astres, les cratères des astres
On a inventé mille méthodes pour fixer les bestioles les gens, les mots et les sens. Etiquetage, emballage, épinglage, taxidermie, formolisation, dictionnaire, séchage, conservation, récitation, pasteurisation, photographie, phonographie, cinéma, muséologie, congélation, mausolée, tout ça c’est de la folie fixiste qu’on a appelée progrès.
Même un zoo qui a quelques allures de chose vivante contenant des bestioles vivantes est en réalité une chose fixée où tout est étiqueté. Jardin botanique pareil.
Et que fixait-on de manière ausi frénétique ?
Notre qualification, notre regard, notre appréciation, notre commentaire, la valeur qu’on devait accorder à la chose étiquetée.
Sans jamais demander l’avis de la bestiole, de l’Indien, du sauvage, du colonisé, de l’enfant, de la femme, des gens simples.
La valeur n’émane alors plus de la chose en elle-meme, elle ne lui est pas intrinsèque, elle n’émerge que de notre jugement académique
Tout doit se soumettre au jugement des Juges
N’ont alors de valeur a priori que les gens qui respectent scrupuleusement ces étiquettes, l’étiquette
Tous les étiquetages étaient faits depuis quelque sorte de Sorbonne
Alors les patois ont été interdits (Plus interdits en France que dans les colonies !)
Il ne fallait surtout pas que quiconque utilise une autre terminologie, une autre sorte d’étiquette que celle qu’imposaient nos coupoliens palmés
Tu peux lire CL Strauss ou Minkovski dans tous les sens, jamais tu n’y trouveras une petite pensée propre à ces gens en sorte de « Coucou les Blancs, voilà ce que nous pensons de vos cerises... »
Jamais un carnet de note ne doit comporter le commentaire de l’élève sur lui-même (et à fortiori sur ses maîtres étiqueteurs)