Adrien, vous avez écrit : "En outre, ma thèse implique que les tenants
du libéralisme humaniste, les libéraux humanistes, sont étatistes. Ce
qui signifie qu’il y a une contradiction entre leur discours
anti-étatiste, et la réalité des implications des fondements de leur
idéologie."
Lire une telle conclusion est très surprenant, puisqu’une
personne libérale ne fait pas preuve d’incohérence interne en réclamant
une présence de l’État dans la société. Seul un anarchiste serait dans
cette contradiction (l’idéal d’un anarchiste étant une société sans
État, un anarchiste demandant à ce qu’une telle société sans État soit
imposée et/ou maintenue par un État formulerait une demande qui va à
l’encontre de son idéal même). En revanche, un libéral n’aspirant pas à
une société sans État peut souhaiter la présence d’un État dans la
société sans que ce souhait ne contredise ses aspirations libérales.
On
a un peu l’impression à vous lire que souligner la nécessité d’un État, même dans
une communauté libérale, serait révéler un scoop. Pourtant, même si certains
penseurs libéraux sont anarchistes, ils ne constituent qu’une minorité ; la plupart des penseurs libéraux, français ou étrangers, admettent que
l’État est indispensable, au moins pour assumer un rôle
régalien, sinon pour plus. Voici par exemple ce qu’écrit Hayek à ce
sujet (dans le 2e chapitre de Law, Legislation and Liberty) :
"Although
it is conceivable that the spontaneous order which we call society may
exist without government, if the minimum of rules required for the
formation of such an order is observed without an organized apparatus
for their enforcement, in most circumstances the organization which we
call government becomes indispensable in order to assure that those
rules are obeyed."
Cette idée s’illustre bien par une analogie
sportive. Un libéral non anarchiste affirmera que deux équipes de
football doivent être libres d’interagir et qu’un arbitre n’a pas le
droit de modifier le résultat de ces interactions (il n’a pas le droit
d’empiéter sur la « propriété privée » des équipes, par exemple en
modifiant le score du jeu dans un sens plus égalitaire). Pourtant, le
libéral reconnaît que la présence d’un arbitre est nécessaire pour,
justement, faire respecter ces règles du jeu. Pourtant, vous écrivez dans votre conclusion qu’une telle admission est contradictoire.
Un
interventionniste (qu’il soit socialiste, keynésien, rawlsien, etc.)
admettra en revanche la légitimité d’intervenir dans le score du jeu
pour le modifier (plus ou moins selon le contenu de ses convictions).
Cordialement,
Regis.