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Commentaire de easy

sur Devenir hétérosexuel : un naturel qui ne va pas de soi


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easy easy 5 février 2013 16:04

J’apprécie d’examiner toutes les questions sur ce qu’elles peuvent avoir de plus profond.
Mais en ce moment, en France, il y a un débat autour de l’homosexualité qui oblige à contextualiser nos analyses. Or de notre contexte, vous ne dites rien, Loup Rebel.

Je vais donc en parler 

Tout de même, en restant déjà dans votre sphère d’observation psy, je dirais que j’ignore pourquoi je suis hétéro ou homo.
Mais il me semble qu’au-delà de mon orientation, je suis surtout passionné.
Je crois que ma passion ou fixation ou névrose résulte de la culture ou plus exactement de ce qui avait été ma culture pendant ma jeunesse. Disons schématiquement que c’est Hugo + Abélard et Héloïse + mes parents + Roméo et Juliette qui m’auront filé ce virus.

Il me semble qu’un enfant sauvage peut ressentir une curiosité, un amour, un attachement, une tristesse mais pas une passion dévorante (Il paraît que les enfants sauvages repérés n’aient jamais eu d’attirance sexuelle. Mais leur situation trop spéciale en est peut-être la cause).

La passion ne me semble pas naturelle. A moins de redéfinir ce que veut dire naturel




Naturel quésaco ?
 
Aucun animal ne pratique de dissection, de médecine. 
Même la dissection, qui aurait pu sembler naturelle de l’homme si tôt devenu médecin, a très longtemps été inconcevable, pas du tout naturelle.
Alors que de nos jours, en ce coin du monde, il nous semble naturel d’ouvrir des cadavres pour mater leur intérieur.



Il y a des choses naturelles de l’homme qui seraient très choquantes dans le règne animal.

Sans même s’attarder sur la sodomie, la fellation, le bondage, le coïtus interruptus et le récent cumshot, en ne considérant que la passion, la médecine, l’astronomie, la culture agricole, la collectionnite, l’héritage matériel, le mariage, la peinture, le rite funéraire, la religion, la musique, le nationalisme, le dessin, la fabrication d’objets, on voit que l’homme a un naturel très particulier et très évolutif.

Le naturel de l’homme n’est pas celui des bestioles, il est très spécial et très mouvant. Prétendre qu’il est repère c’est faire de Magellan un repère géographique
 


J’en viens maintenant à ce qui fait notre contexte actuel.

Dès qu’on vit en groupe, nomade ou sédentaire, en village ou en cité, il semble qu’il faille toujours instaurer une manière de se comporter.
Et la norme comportementale est loin de ne porter que sur la sexualité. Il y a des gens ayant posé comme bonne manière de ne jamais regarder quelqu’un en face et d’autres qui ont posé la règle inverse.
La manière de s’asseoir, de boire, de déféquer, de pisser, de se coiffer, de dire non, tout est utilisé comme argument de manière et chacun se doute, au moins un peu, qu’il existe ailleurs des gens ayant adopté d’autres manières

Il y a donc partout une sorte de morale qu’on sait être invalide ailleurs.

Et partout, lors des discussions sur les écarts de conduite, il est évoqué d’une part ce que font les autres gens et ce que font les bestioles. Est évoqué aussi ce que font les petits enfants avant d’être éduqués.
Partout le concept de « C’est naturel (de tout animal ou de l’homme) » est utilisé soit pour consolider la morale soit pour la contrarier. Cette référence au naturel pour poser une fixité humaine est absurde mais on l’utilise parce qu’on ne dispose d’aucun autre moyen pour installer absolument notre morale.

La convocation du « Naturel » avoue notre faiblesse argumentaire.
 


L’Eglise a très bien su utiliser ce que font certaines bestioles tantôt pour dire qu’il faut faire pareil, tantôt pour dire qu’il ne faut surtout pas faire pareil. (Elle a dit qu’il n’était pas naturel d’éjaculer à perte, en dehors)

Chaque fois qu’on dit le mot naturel, on traite la question de la morale.
Chaque fois qu’on parle des moeurs des autres gens ou des bestioles, même sous des allures très scientifiques, on consolide ou sape la morale en cours.

Dans la vie villagiste, il n’y a pas d’intérieur, tout est visible, chacun fait comme les autres les gens sont hyper conformes (Il est toujours prévu des condamnations de transgressions mais dans la pratique, les transgresseurs sont toujours pardonnés. On se connaît tous, il n’y a ni exécution, ni prison. 

Dans la cité, du fait de l’anonymat, les gens sont beaucoup plus souvent non-conformes ou polyconformistes. Ils peuvent adopter plusieurs costumes. Il y a donc plus de manières sexuelles différentes dans la vie en cité que dans la vie en village.

Dans la vie en village les gens mangent, chassent, dorment, dansent, chantent et sexent en des moments conventionnels. Les actions sont synchrones et si les femmes avaient leur oestrus en même temps, les vies seraient hyper synchrones.
Dans la vie en cité il n’y a pas d’heure et chacun peut tout faire n’importe quand. Ce qui est une grande singularité dans le monde du vivant.



Les petites religions (villagistes) n’ayant pas conçu l’anonymat, elles n’ont pas pu poser des règles applicables à une échelle plus grande que le village.

Les religions d’Abraham ont été conçues pour la vie en cité et tiennent compte des effets de l’anonymat. Elles ont inventé des codes applicables en cité en édictant des choses à ne pas faire et des choses à faire, le tout étant applicable à l’échelle de la cité.

Mais en dépit de leur conception urbaine, les religions abrahamistes ont tout de même peiné à s’imposer complètement dans tous les recoins de la cité. Elles sont rares les cités entièrement tenues par une grande religion.



En cité il est toujours possible de vivre ensemble en pratiquant des manières différentes et on convient surtout d’un code très pragmatique (tel le couvre-feu, les horaires pour faire du bruit, les vaccinations de masse). C’est leur rassemblement autour d’un modus vivendi pragmatique qui fait que les citadins ont davantage conscience du fait religieux. C’est cela qui leur fait prendre conscience qu’il y a d’une part le code religieux et d’autre part le code laïc pour rouler à droite, pour s’arrêter aux carrefours, pour vider son pot de chambre.

C’est dans la cité que l’individu a fortement conscience qu’il peut y avoir plusieurs codes et qu’il peut observer des gens se comportant différemment. C’est dans la cité que l’individu lit des livres où il découvre des pensées ou concepts pas ordinaires. La cité invite aux vies non-conformes (sur un plan ou un autre)




Tout enfant de la cité vit des problèmes familiaux (dramatisées ou pas selon les cités, époques et circonstances) et trouve dans ce qu’il observe autour de lui, dans les livres, dans les films, à la télé, des solutions de vie différentes. Il s’y projette et grandit en réalisant quelque avatar de ces solutions qu’il a vues « Moi aussi je vais me faire une vie extraordinaire en mélangeant un peu de ça et de ça.... »


C’est de ce contexte protéiforme de la cité que surgissent les cas remarquables.
Chaque cas ou biographie ayant une part de tronc conformiste et une part singulière. 
En cité, chacun développe sa solution et personne n’est complètement conforme.

En cité la morale est fortement calée sur la Justice qui est fortement calée sur la plainte individuelle. En cité, en dehors de celles qui sont très tenues par une grande religion, la morale évolue essentiellement au fil des plaintes individuelles. 

Dans les villages, ce qui constitue la morale n’est pas fondé sur des cas judiciaires
Dans la cité, ce qui constitue la morale est très largement fondé sur des cas judiciaires donc sur des cas individuels donc sur des dramatisations de cas, surtout en temps de paix. Car lorsque la cité est en guerre, les cas individuels sont dépassés au profit du cas collectif.

C’est en ce contexte de cité non tenue par une grande religion et non en guerre où chacun cherche une solution exutoire que nous sommes en train de débattre. 




Notre cité n’est pas en guerre à ses portes, elle n’est pas assiégée, elle ne subit pas une peste mais elle a des problèmes collectifs (pollution, démographie, chômage, insécurité, intégrismes...)
Les solutions exutoires de chacun sont examinées par la cité et débattues à l’aune de ses problèmes collectifs.
Les solutions qui ne semblent pas gêner l’existence collective passent comme une lettre à la poste ; celles qui semblent nuisibles à l’existence collective passent mal. 

La cité (la Pensée qui émerge de ceux qui, à un moment donné, évoquent l’intérêt de la cité) peut supporter mille sortes de bizarreries marginales mais ne peut accepter l’institutionnalisation de bizarreries qui lui semblent suicidaires. 

Avant le fog, la cité voyait fondamentalement suicidaire la non procréation.
Depuis 1900, elle voit au contraire un risque à la démographie croissante.
Elle devient nettement plus tolérante envers les solutions de vie non procréatives mais les chances sont minces qu’elle en vienne à les accepter complètement, à les trouver normales. 
Même si la cité convient (au moins implicitement) qu’elle doit censurer les naissances, elle trouvera toujours vital qu’il y en ait. 




Les gens ayant développé une solution de vie sans procréation ont bien entendu leurs bonnes raisons personnelles mais ils doivent accepter de n’être que tolérés et cela seulement dans la mesure où ils sont peu nombreux. (Ce que Bergé YS Laurent avaient bien compris et accepté)

Parmi ceux qui développent une solution de vie sans procréation, il y a des homos et des hétéros. 
Les couples hétéros qui ne veulent pas d’enfant, dans la mesure où ils ne le braillent pas sur les toits, où ils font semblant de vouloir des gosses, où ils sont très peu nombreux, ne sont pas stigmatisés. La cité leur fout une paix royale et ne leur interdit pas de prendre un contraceptif.
Tandis que les couples homos ressortent automatiquement comme étant non procréatifs et sont très logiquement stigmatisés par la cité (Stigmatisés voulant dire « Restez minoritaires ! » ; ne voulant pas dire « Mourez ! »)

Mais certains homos ne supportent pas cette marginalisation et réclament de pouvoir s’afficher de manière plus familiale, d’être considérés comme éducateurs, de se donner le plus possible une allure procréative et éducative, professorale, une allure de prescripteurs de morale.

Si la cité se voyait nettement mourir par chute démographique, elle leur répondrait clairement Non
Si la cité se voyait nettement étouffer de surpopulation, elle leur répondrait clairement Oui 
Aujourd’hui, la cité ne sait pas encore bien si elle doit croître ou décroître. La demande de normalisation des homos arrive donc dans un contexte où la cité ne sait pas bien quoi leur répondre.
Mais entre le Oui et le Non, tout en étant partagée, la cité devra trancher (Quitte à changer d’avis plus tard).




Je trouve donc qu’on pourrait débattre de cette grosse question sans utiliser le concept de « naturel » qui est flottant et que chacun sait aliéner dans le sens qu’il préfère quand ça l’arrange.

Même si toutes les bestioles étaient à 90% homos, même si l’hétérosexualité était exceptionnelle dans la nature, une cité humaine pourrait trouver vital de comporter plus de procréateurs et décider de condamner à mort quiconque n’a pas fait 20 gosses sans justificatif de stérilité.
C’est la loi de la cité qui l’emporte sur tout.
Et bien que sa loi avance couramment à coups de plaintes individuelles, bien que rien dans ses textes n’évoque le contrôle démographique, chaque citadin intègre ce problème et apporte sa voix pour constituer la Voix de la cité, l’agoravox.



L’air de rien, nous nous comptons tout le temps.
Un moment nous trouvons qu’il y a trop de monde, un autre moment nous trouvons que c’est désert. Le comptage est toujours présent d’une manière ou d’une autre dans toutes nos conversations. Il fait l’essence d’une manifestation, d’un vote.

Et la sexualité a une incidence sur ce nombre qui fait la cité.


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