Je salue moi aussi la pondération de l’article. Merci Dany.
J’ai déjà eu l’occasion de dire combien le débat était facile à dévoyer dans la caricature quand il se posait en termes de « droit à l’enfant ». Je le répète ici : si débat il y a, il ne devrait présenter le fait d’avoir un enfant que comme une liberté, et certainement pas un droit. Un droit se réclame à quelqu’un, s’obtient ou se compense. Or, on ne « réclame » pas un enfant, on n’ « obtient » pas un enfant, nul n’a le droit de « fournir » un enfant. Bien sûr, l’exposer en terme de liberté, c’est une façon de poser le problème et pas de le résoudre. La liberté d’avoir un enfant implique que l’on peut librement utiliser de nombreux moyens, naturels, bien sûr, c’est à dire ceux que nous partageons avec les animaux, mais aussi, si nécessaire, d’autres que seuls les humains pouvaient inventer, dans toute son ingénierie scientifique et médicale (tant qu’éthique), mais aussi par quelques artifices juridiques propices à donner aux orphelins un foyer stable et aimant. Et j’ajouterais aussi toutes les ruses que l’ingéniosité humaine peut autoriser, et qui se pratiquent déjà lorsqu’une femme en mal d’enfants fait intervenir un tiers pour palier la stérilité de son époux, pas toujours avec son consentement, et pas toujours par insémination artificielle...
Dire « liberté » ne résout pas la question, mais au moins, on écarte ce qui n’est pas le débat, ce qui nuit au débat, ce qui fait faux débat.
Avec cette rigueur terminologique, la position de Bruno Nestor AZEROT, telle que vous la rapportez, peut être finement critiquée : avoir un enfant n’est en effet pas un droit en tant que tel, ni un privilège accordé. Mais ce n’est pas non plus qu’une conséquence naturelle de l’union physique naturelle d’un homme et d’une femme, du moins plus depuis que la science le droit et l’ingéniosité permettent de palier des impossibilités.
La nature a ses règles et si le droit peut s’en inspirer, il n’y est pas tenu. Du reste, les règles de la nature infligent généralement à ceux qui les bafouent une sanction immédiate qui se passe fort bien de tribunaux et de juges : quand on glisse, on tombe ; quand on met la main au feu, on se brûle. A quoi servirait que la loi soit redondante, sinon à brider l’imagination humaine, laquelle a fini par faire reculer pas mal de lois de la nature, à faire voler des avions, à s’éclairer la nuit et à se chauffer l’hiver.
Il n’y a donc pas de contre indication de principe à recourir au droit pour rendre les gens libres d’obéir aux lois de la nature ou, quand les lois de la nature s’opposent à leur desseins, de chercher des moyens de les contourner. Tous les moyens ne sont pas bons, et l’enlèvement d’enfant n’est évidemment pas acceptable. Mais c’est alors le moyen qu’il faut interdire, et non la liberté qu’il faut supprimer. Pour la PMA ou la GPA, il y a bien débat, c’est utile, c’est important, c’est nécessaire, c’est même vital, et concernant le mariage, c’est hors sujet.
Je ne vois pas, dans cette posture morale et politique, aucune possibilité de manipulation « culturelle », aucune subordination de la pensée à la « modernité », aucune concession à la « branchitude », mais juste les conséquences philosophiques qu’on peut tirer du fait que la loi n’a pas à singer la nature pour remettre en droit des barrières qui existent en fait, ni pour rendre interdit a priori le franchissement de toutes les barrières quand un examen de l’interdiction éthique au cas par cas respecte bien mieux la Liberté.
On peut dire aussi que les groupes de pression qui exigent que la loi se bride au nom de la nature, de la tradition, de la religion ou autre, contestent en fait à la souveraineté populaire telle qu’elle s’exerce par la voie de ses représentants sa liberté d’action, son pouvoir, sa légitimité. Je comprend qu’on puisse ne pas être d’accord, mais les considérations de coût, d’impact, d’efficacité, ou de mise en balance d’une liberté par rapport à une autre qu’il faut empêcher d’empiéter sur elle, sont les seules limites que devrait connaître la souveraineté nationale.
Pour ce que vous qualifiez de « base du problème », on ne crée pas un droit : on supprime une restriction. C’est donc une liberté qu’on reconnait, en décidant de ne plus autoriser l’état à s’opposer pour des question de sexe, au choix libre éclairé de deux citoyens responsables de se marier, de s’engager mutuellement et de consentir aux contraintes comme aux avantages d’une vie commune.
La complémentarité nécessaire à la vie commune est une complémentarité élective, bien plus que « naturelle », et cette complémentarité élective doit suffire à l’Etat pour prononcer le mariage.
On hurlerait à l’atteinte aux libertés si l’Etat décidait de s’assurer que les partenaires sont féconds, ni qu’ils ne pratiquement pas exclusivement un coït buccal ou anal ou la masturbation réciproque ou des rapports protégés leur interdisant toute procréation (notez que ces pratiques peuvent parfaitement être celles de couples hétérosexuels). Il est parfaitement malsain que l’Etat s’arroge la possibilité de s’assurer de la complémentarité biologique, même entendue dans ses finalités procréatrices : cela relève de la vie privée. L’Etat reste donc heureusement dans son rôle en reconnaissant que la « complémentarité naturelle indiscutable » n’est pas du ressort du maire qui prononce le mariage.
Si les questions « sociétales » vous semblent pulluler, c’est peut-être aussi que l’appétence des gouvernements précédents à ne traiter que les questions sécuritaires les avait caché sous le boisseau. Il n’est pas inconvenant qu’elle surgissent en pleine lumière, et il était urgent d’en traiter quelques unes.
Un état démocratique pouvant supporter les alternances politiques, il n’est pas malsain qu’on cessât de faire une loi pénale pour chaque fait divers, et qu’on ait un usage plus « sociétal » de la norme juridique. Appelez ça du « politiquement correct » si vous voulez.
Je regrette comme vous que le temps parlementaire consacré à traiter les milliers d’amendements chafouins n’ait pas été consacré à des lois plus utiles socialement. Cette réforme qui, menée ailleurs, n’a jamais rien révolutionné, pouvait fort bien ne pas être montée en épingle par d’autres lobbies comme Civitas. Les journalistes pouvaient aussi ne pas sélectionner les argumentaires les plus extrêmes et les plus inconciliables pour ventre du papier. Ils auraient pu aussi s’ouvrir à plus de pédagogie, plus d’explication, plus d’information sur le rôle et les limites de la loi, et le fait que ce n’est pas parce qu’une loi reconnaîtrait la Terre libre de quitter son orbite que cela changerait sa rotation. Mais bon, il y avait l’occasion, l’engagement pris, sa validation par deux suffrages successifs, un précédent donnant également la majorité au Sénat... Faire ça maintenant n’est pas illégitime.
Pour ce qui est de jeter l’opprobre, il me semble que ceux qui n’ont pas réussi à trouver d’arguments sérieux contre la réforme qu’en énonçant des indignations, des approximations, des préjugés, des cris d’orfraie, des incompréhensions historiques, des contresens juridiques ou en fin de compte, des préjugés moralisants d’un autre millénaire se sont chargé eux-même de s’y jeter, dans l’opprobre.
Ce ne sont pas forcément des préjugés beaucoup plus élevés qu’on énonce en référence à un « Choc des Civilisations ». Je ne vois pas d’un oeil particulièrement hostile que les personnes dont les convictions religieuses obscurantistes pousseraient à haïr l’évolution du mariage, en viennent à s’exiler et à délivrer le pays de leur présence. Bien entendu, je ne souhaite mettre personne dehors, mais ceux qui partiront pour ça ne me manqueront pas.
J’aime à croire que la Nation poursuit son histoire, et que les difficultés économiques comme les réflexes et les réticences conservateurs sont de bien mauvais alibis pour ne pas faire progresser les libertés. Faut-il freiner ces avancées - qui, je le répète, ne sont pas si révolutionnaire que çà - au motif que les prédicateurs de la charia seraient ainsi confrontés à des tolérances qui les dépassent ? Il me semble au contraire que toute autre attitude serait défaitiste, frileuse, voire assez lâche.
Mais à tout prendre, la loi ne force personne à changer le choix de son conjoint, ni à se marier contre son gré. Les idéologies moralistes les plus obscurantistes ne sont pas contraintes à considérer que l’homosexualité qu’ils réprouvent serait tout à coup moins peccamineuse. Simplement, l’Etat se désolidarise de leur conception : il se place au dessus, ne prend plus parti, s’élève vers un universalisme capable de faire cohabiter les prêcheurs de tous bords et les hédonistes en cessant de prendre parti. Il me semble que c’est son rôle et même son honneur, surtout dans un pays qui a fait de l’universalisme un des moteurs de sa construction historique, voire de son identité.
L’hédoniste est bien une corde de la sphère privée, un choix de vie. Il ne s’agit pas d’en faire un "rouleau compresseur encastré au Code Civil", mais de faire que le code civil renforce la logique qui est déjà la sienne : faire du mariage une sphère protectrice de la vie privée, avec une enveloppe officielle vue de l’extérieure, opposable aux tiers, mais opaque pour sanctuariser ce qui s’y passe entre adultes consentants et entre citoyens libres et responsables. Comme je l’ai dit, que le maire n’aille plus regarder de quel sexe est chacun des futurs époux me semble une marque du respect par l’Etat du choix des citoyens, et donc un progrès de l’Etat de droit dans ce qu’il peut avoir de plus indispensable au respect des libertés publiques.
C’est dans ce cadre de l’Etat de droit que La loi se doit d’être générale, impersonnelle, non discriminatoire, valable pour tous, aussi universaliste qu’elle le peut, et soucieuse de ne pas entraver les libertés des minorités si cette entrave n’est pas utile à la sauvegarde d’autres libertés. Lorsque les conditions d’un tel progrès législatif sont réunies, un lobby n’aurait pas beaucoup à pousser pour avoir gain de cause et d’autres lobbies s’y opposeraient bien en vain s’ils n’ont que leur vertueuse bienséance morale pour argument.
Je ne vois pas, dans ces conditions, que le sexe hédoniste devienne plus un opium qu’il ne l’est actuellement. D’ailleurs, je ne vois pas qu’on puisse s’y opposer au nom de la Vertu, sauf à considérer que les homosexuels seraient victime de discriminations par rapport aux sado-maso, aux triolistes, aux échangistes, aux fétichistes du pied, aux adeptes du bondage, aux branleurs, aux adeptes des gadgets mécaniques ou des poupées gonflables... Pourquoi ceux qui jugent que l’homosexualité est une perversion réservent-ils un traitement si complaisant pour les autres ?
Car l’argument de la porte des enfers qu’on ouvrirait pas la réforme marche aussi dans l’autre sens : si les tenants de l’ordre moral vainquaient sur cette question, ne serait-ce pas la porte ouverte à toutes les revendications anti-perversion ? Même les plus méfiants vis-à-vis de l’hédonisme ne peuvent que trembler à l’idée de en plus pratiquer que des rapports normalisés, dans toute leur absence d’imagination, et, pire encore, d’avoir un commissaire de la morale pour surveiller qu’ils restent dans l’orthodoxie sexuelle au plus fort de leur intimité...
Donc, oui, le sexe à la carte n’a pas à se fondre dans une revendication communautaire, mais à s’affirmer comme une liberté qui dépasse les communautés, voire, qui interdit aux communautés d’entraver le libre choix de chacun de ses membres.
Je ne vois vraiment pas comment on pourrait, sous cet angle, considérer l’évolution comme "un but contre notre camp dans le match de l’harmonisation universelle des droits de l’homme« : on ne crée pas un mariage »gay" ! On gomme les barrières qui empêchaient les gays, et d’autres, d’accéder librement à l’officialisation de leur engagement mutuel dans les mêmes conditions et avec les mêmes effets que les autres. On rend bien la loi plus universelle, on gomme un statut dérogatoire, on supprime une source de discrimination. C’est précisément le sens des droits de l’Homme, ce me semble.
Il va de soi que je conteste la cohérence de l’expression « équation entre une fonction PRIVEE, reconnue, non réprimandée bien sur (l’homosexualité) et une assise PUBLIQUE (s’offrir un enfant au titre de « l’égalité ») »
Je vous bien que l’homosexualité relève de la sphère privée. Mais à ma connaissance, on ne conçoit pas son enfant en public. Et j’ai déjà dit ce qu’il fallait penser de la façon insultante et manipulatrice de travestir en une faculté de « s’offrir un enfant » ce qui n’est précisément que la liberté d’en avoir, c’est à dire l’interdiction faite à l’Etat de s’opposer par le droit à la faculté d’en faire par les moyens naturels ou techniquement disponibles (en répètant que la disponibilité s’analyse au cas par cas dans le cadre, notamment, des lois bio-éthiques).
Les "problèmes de construction de l’enfant et d’un affectif équilibré qui lui sera nécessaire« ne sont pas établis par »n’importe quel pédopsychiatre" : la question est plus que controversée, et l’objectivité comme l’expertise des pédopsychiatres en question sont elles-mêmes des plus suspectes.
« L’enfant serat-il au courant à sa naissance qu’il aura
deux papas sous la douche ? en appellera t-il un « maman » ? serait-ce eux
qui vont lui expliquer la nature par ce prisme avéré ?... »
La seule bonne réponse libérale (au sens non économique du terme) d’un Etat respectueux d’une vie privée sanctuarisée de citoyens adultes et responsables, est exactement la même que si je vous demande si vous parlez à vos enfants de choux et de roses, de papillons ou de cigognes ou si vous lui mentez sur le père Noël : « c’est leur problème et leur responsabilité : ça ne te regarde pas ! S’il y a des problèmes graves, il y aura moyen de le détecter à la crèche, à l’école ou sur dénonciation d’un tiers et de diligenter une enquête dans les formes, dans les mêmes conditions que les nombreuses maltraitances ou de négligence qui, pour l’instant concernent plutôt les hétérosexuels, et de faire intervenir les services sociaux compétents. »
Mais il en va ainsi dans un état de droit : condamner quelqu’un sur de simple présomptions, ou se défier des mauvaises actions qu’il pourrait éventuellement commettre, c’est à l’antithèse du rôle de l’Etat et de la justice. Condamner quelqu’un seulement pour ce qu’il pourrait commettre est inadmissible parce que c’est le condamner pour ce qu’il n’a pas commis.
Je suis parfaitement d’accord avec votre analyse d’un mariage plutôt déclinant et se soldant une fois sur deux par un échec. C’est d’ailleurs pourquoi, comme le Prime Minister Cameron, je considère bien que la loi contribue à réaffirmer le mariage comme au centre des préoccupations de la république, ce qui revient à renforcer sa légitimité, exactement comme devraient le souhaiter ceux des conservateurs qui se lamentent de son déclin.
« Le taux d’échec sur ce nouveau segment » est de la responsabilité de ceux qui opteront librement pour le mariage au lieu d’une union liber. Cela non plus ne regarde pas l’Etat.
Vous faites une analyse appropriée du positionnement de Monsieur Azerot en ce qu’il est décomplexé, sincère, assez peu discriminant, mais j’espère vous avoir indiqué qu’il n’est pas totalement exempt de préjugés, ou plus exactement d’impensés trompeurs.
Comme vous le dites, chacun se fera son opinion, en toute liberté, et chacun peut aussi me présenter des arguments qui feraient évoluer la mienne. D’ici là, j’espère ne pas avoir fait preuve d’inculture dans l’exposé de ma propre appréciation.
Bien à vous,
L’Ankoù
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