Mercredi 20 mars 2013 :
Je vous suggère de lire cet article très important :
Chypre : Draghi use du Blocus monétaire.
Le « blocus monétaire » de Chypre qui vient d’être mis en œuvre par la
BCE est un acte d’une extraordinaire gravité, dont les conséquences doivent
être soigneusement étudiées.
La décision de M. Mario Draghi porte sur deux aspects : tout d’abord la
BCE n’alimente plus la Banque Centrale de Chypre en billets (point qui n’est
semble-t-il pas essentiel car les réserves de « cash » semblent importantes) et
ensuite la BCE interrompt les transactions entre les banques chypriotes et le
reste du système bancaire de la zone Euro. C’est cette dernière mesure qui est
de loin la plus grave.
D’une part, elle condamne à court terme les banques chypriotes (mais
aussi les entreprises basées à Chypre, qu’elles soient chypriotes ou non) car
désormais elles ne peuvent plus faire de transactions avec le reste de la zone
Euro. D’autre part, elle équivaut à un « blocus » économique, c’est-à-dire dans
les termes du droit international à une action qui équivaut « acte de guerre ».
C’est donc dire la gravité de la décision prise par Mario Draghi. Elle pourrait
d’ailleurs se prêter à contestation devant les cours internationales. C’est
donc dire la responsabilité prise par Mario Draghi qui pourrait, à ce compte,
se retrouver un jour devant un tribunal, international ou non.
Sur l’interruption des relations entre banques chypriotes et la zone
Euro, l’argument invoqué est le « doute » sur la solvabilité des dites banques
chypriotes. C’est à l’évidence un pur prétexte car des « doutes » il y en a
depuis juin dernier. Tout le monde sait qu’avec les conséquences du « haircut »
imposé sur les créanciers privés de la Grèce, on a considérablement fragilisé
les banques de Chypre. La BCE n’avait pas réagi à l’époque et ne considérait
pas le problème de la recapitalisation de ces banques comme urgent. Elle se
décide à le faire au lendemain du rejet par le Parlement chypriote du texte de
l’accord imposé à Chypre par l’Eurogroupe et la Troïka. On ne saurait être plus
clair.
Le message envoyé par Mario Draghi est donc le suivant : ou vous vous
pliez à ce que NOUS avons décidé, ou vous en subirez les conséquences. Ce n’est
pas seulement un message, c’est un ultimatum. On mesure ici que toutes les
déclarations sur le « consensus » ou l’« unanimité » qui aurait présidé à la
décision de l’Eurogroupe ne sont que des masques devant ce qui s’avère être un
Diktat.
Mais il y a un message dans le message. Mario Draghi vient, d’un seul
geste, de faire sauter la fiction d’une décision collective au sein de la BCE,
car le Président de la Banque Centrale de Chypre n’a pas donné son accord. Les
règles n’ont ainsi même pas été respectées. Il vient, ensuite, d’affirmer au
reste du monde que les décisions ne sont pas prises par l’Eurogroupe ou l’Union
Européenne mais par lui et lui seul, fonctionnaire désigné et non élu,
irresponsable au sens le plus politique du terme.
La nature profondément tyrannique des institutions mises en place dans
le cadre européen se révèle pleinement dans cet incident. Les grands discours
sur la coopération et sur l’expertise cèdent la place au froid rapport des
forces et sentiment de puissance.
Il met un terme au concours d’hypocrisie auquel s’étaient livrées les différentes
instances européennes parlant d’un accord décidé à l’unanimité (avec le
pistolet sur la tempe). Il en va de même avec le “respect du vote” du Parlement
chypriote, dont on voit bien que Mario Draghi se moque comme d’une guigne.
Désormais les choses sont claires et, en un sens, c’est tant mieux. Mais il ne
faudra plus s’étonner si les partis, souvent qualifiés de “populistes”, qui
sont opposés aux institutions européennes montent rapidement dans les sondages.
De même ne faudra-t-il plus s’étonner si la violence contre les institutions
européennes et leurs représentants monte rapidement dans les pays les plus
touchés par la crise. Car il est dans la nature des choses que la Tyrannie
appelle la violence.
Les conséquences de cette décision seront, quoi qu’il advienne,
dramatiques. Il est possible que le Parlement chypriote se déjuge sous la
pression, mais ce faisant il ouvrira une crise ouverte avec son peuple. La
tradition de violence politique que l’on a à Chypre ne doit alors pas être
négligée. Il est aussi possible que l’on aille jusqu’au bout de cette crise et
que Chypre soit de facto expulsée de la zone Euro du fait de la décision de
Mario Draghi. Le précédent ainsi établi aura dans ce cas des conséquences
profondes pour l’ensemble des autres pays. Nous aurons des indications sur le
cours que les événements vont prendre d’ici 48 heures.
Jacques Sapir.
http://russeurope.hypotheses.org/1065