Jacques Attali et Chypre
Les grands médias officiels ont tout un panel d’ « experts » à qui la parole est systématiquement et exclusivement donnée, par souci d’éviter les propos qui sortiraient du champ républicain. Alain Minc, Élie Cohen, Daniel Cohen, pour l’économie, Bernard Henri-Lévy, Alain Finkielkraut pour la politique, la société et l’international. Et le patron incontesté, sa sainteté Jacques Attali. Expert en tout, omniprésent, il a un avis sur tout et ne manque jamais une occasion de le donner.
Voilà donc Jacques Attali invité par Europe 1 pour commenter la situation à Chypre, qu’il appelle un « petit laboratoire ». Rappelons qu’il s’agit de la décision de l’Union Européenne de taxer entre 6,75% et 9,9% des dépôts bancaires des particuliers dans les banques de Chypre, afin de rembourser une partie de la dette que le pays doit à des organismes financiers privés.
Comme à son habitude depuis maintenant 5 ans, Jacques Attali commence son intervention en affirmant qu' « il faut rembourser cette dette ». C'est-à-dire qu’il ne faut pas de poser que questions : à qui la doit-on, qui l’a contractée, pourquoi ? Il faut casquer, point. D’ailleurs ceux qui posent ces questions sont des complotistes et des antisémites.
Attali ajoute qu’il faut la rembourser « pour ne pas qu’elle grandisse ». Sachant que ce racket ne permettra de rembourser que 7 des 17 milliards que doit Chypre, et que le reste sera financé par un emprunt auprès du FMI, on peut se demander comment une dette ne grandit pas quand on la rembourse avec une autre dette. Mais poser trop de questions relève du complotisme, surtout quand on s’adresse au représentant des marchands de pantalons à une jambe et prédicateur du gouvernement mondial qui aurait Jérusalem pour capitale.
Après cette entrée plutôt épicée, Jacques enchaîne directement sur le plat principal : il nous demande de relativiser. En effet, cette « taxe » (sémantique euphémisante pour ne pas dire « saisie ») de 6% serait exactement ce qu’un épargnant paie sur ses dépôts en 3 ans par l’inflation. En face, pas de contradicteur, juste un journaliste docile qui se contente d’agiter les mains quand il parle pour se donner de la présence.
Donc personne n’est là pour dire : « Jacques, ici on ne parle pas d’inflation sur 3 ans, mais de sommes qui disparaissent en une fraction de seconde. Si on parle d’une inflation de 6% par seconde, en 3 ans ça fait quand même 567 748 000%. C’est comparable au cas du Zimbabwe, mais pas à celui de la France. » De plus, l’inflation n’oblige aucune banque à fermer tous les DAB ni à interdire les virements par internet.
Mais en admettant que la comparaison de Jacques entre une saisie sur compte bancaire et l’inflation soir valable, cela présuppose qu’on parle d’un pays où l’inflation est nulle, ou alors la saisie s’additionne à l’inflation. Or l’inflation à Chypre en 2012 était de 4,5%.
Enfin, sans vouloir chipoter, est-ce qu’un épargnant laisse vraiment 100 000 euros dormir sur un compte non-rémunéré pendant 3 ans en attendant que l’inflation lui grignote son capital ? Jacques est bien placé pour savoir ce qu’on fait quand on a un pécule à placer, lui qui a été conseiller de Mitterrand, président de la BERD et d’une société de micro-finance, et embauché par Sarkozy pour rédiger un rapport farfelu sur la relande de l'économie. En tout cas, vu son enthousiasme, il y a fort à parier qu’il n’avait pas placé ses maigres économies dans une banque russe de Chypre.
Pour le dessert, Jacques nous ressert de sa soupe indigeste : « une dette doit être payée ». Par l’inflation, par l’impôt, par n’importe quel moyen. Il en profite ainsi pour répéter un de ses mensonges préférés, qu’il assène à loisir dans tous les médias depuis des années sans jamais être contredit : la dette peut être remboursée par l’inflation. Mensonge énorme d’un escroc maniant la propagande pour le compte de ses collègues et amis de la BCE qui impriment des billets à tour de bras ? Ou imbécillité monumentale d’un incapable qui n’a pas bien compris ses cours de macro économie ? J’ignore la réponse à cette question, mais ce que je sais c’est que la dette ne peut pas être remboursée par l’inflation.
Le poids de la dette peut être diminué par l’inflation, mais il s’agit alors d’un maquillage comptable et non d’une réduction de la dette réelle. La théorie, c’est que quand un pays voit son PIB nominal augmenter grâce à l’inflation (même sans hausse de l’activité économique) et qu’il rembourse les intérêts de sa dette, le poids de sa dette sera mathématiquement diminué. Par exemple, si un pays a un PIB de 100 et une dette de 80, le poids de sa dette est de 80% (80/100=0,8) ; supposons que suite à l’inflation son PIB passe à 110 (augmentation desprix) et que les intérêts de sa dette aient été intégralement remboursés : 80/110=0,73. Voilà les calculs de Jacques, le poids de la dette passe à 73%. Par contre la dette réelle n'a pas diminué d'un centime. Mais Jacques ne parle jamais du « poids » de la dette, il parle simplement de « la dette ». Il oublie aussi systématiquement de dire que le PIB peut être calculé sans tenir compte de l’inflation (PIB réel), et qu’une partie des dettes souveraines est constituée d’obligations indexées à l’inflation (inflation-linked bonds). Il omet également de dire que le mandat de la BCE la contraint, en théorie, à maintenir l’inflation sous les 2%. Et enfin, il oublie de rappeler que plus d’inflation signifie moins de pouvoir d’achat et l’appauvrissement de toutes les classes dont le salaire ne suit pas l’inflation. Mais ça, Jacques s’en fout, parce que dans le microcosme où il évolue, on ne parle pas de petits sous ni de micro-économie.
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