Archibald, je vois mal que l’Histoire doivent se répéter
sans fin dans ce qu’elle a de pire, ou que l’invention en ait à jamais été
absente. La Révolution de 1789 semble démontrer le contraire en effet. Un évènement qui
n’a pas dû échapper à Mélenchon, et dont je crois avoir également noté le
passage historique. Je suppose que l’état catastrophique du monde vous
préoccupe au plus haut point. En conséquence, vous comme moi nous espérons une
« sortie par le haut » de ce drame bien engagé, si cela reste
imaginable. On peut se baser sur l’espoir en le génie humain, appelé à la rescousse
un peu naïvement, il me semble, par nombre de gens qui pensent que ça s’arrangera forcément.
Pas de doute, la crise de 29 a
été surmontée, hein… Entre cette illusion de la toute puissance de l’homme et
les excommunications pour utopie et mensonge, je ne vois rien qui
alimente vraiment une réflexion constructive. J’affirme également qu’il
est incroyablement prétentieux de se prendre pour le centre du monde,
considérant que notre conception de la société est la seule valide. Cette
vision qui reste la nôtre n’est pas sans fondement mais apparaît désormais
comme gravement fautive sur le plan humain, et écologique au sens large. Pire,
elle peut relever d’un aveuglement qui précipite notre fin.
Il est probable que l’élection d’une assemblée constituante
ne se ferait pas par tirage au sort, et j’ai pris la précaution de suggérer que
ses membres devraient être dotés de coeur et d’intelligence. C’est pourtant un
système qui a ses partisans, et qui mérite considération. Je ne crois pas avoir
besoin de rappeler que les politiciens sont les représentants et les serviteurs
du peuple dont ils sont issus. Et qu’ils sont à ce point honnis en ce moment
qu’on peut imaginer, en réponse à cette profonde détestation fondée sur
l’observation objective du comportement d’un nombre inquiétant d’entre eux, de former
une constituante par une élection au sein même du peuple. Un contre-pouvoir
dont rares sont ceux qui nient la vitale invention. Vous dites en substance que
les politiciens sont tous infiniment plus légitimes et compétents que "le
peuple", que vous semblez ne pas porter en grande estime. Ne vous dépréciez
pas en passant. C’est pourtant bien, je le répète, du peuple que sont issus les
politiciens. Lorsque ces derniers en font un métier, ils sont méprisés pour
leur opportunisme ; s’ils débutent, pour leur incompétence. Voilà qui fait
penser à la recherche de l’androïde parfait dans l’entreprise, hyper diplômé,
payé au lance-pierre ou révoqué pour excès de compétence et manque d’expérience.
Le peuple comprend en lui agriculteurs, ouvriers, enseignants, avocats, juristes,
médecins, ingénieurs, pères et mères. Ceci rappelle cette conception de la
Démocratie, qui se baserait sur l’élection de nos représentants par tirage au
sort, mandat limité dans le temps. La complexité de nos sociétés interdit
sans doute une telle méthode.
S’agissant de la Constituante, le contexte est différent,
puisqu’il s’agit de proposer des idées neuves en excluant de mettre en œuvre les
seules doctrines verrouillées par des politiciens « professionnels » dont le logiciel idéologique provient d’un
monde dépassé, en pleine débâcle. Il faut bannir les conflits d’intérêts entre argent
fou et politique, et les pouvoirs de castes, la question n’étant pas de savoir
si c’est impossible, mais de tracer l’épure d’un dessein plus grand que soi. C’est
aussi ce que l’on pourrait appeler Révolution citoyenne. Aussi grande que soit
l’aura de celle de 1789, cette Révolution-là ne fut pas exemplaire en tout :
le peuple, encore lui, exécuta à tout de bras. Il ne faudrait pas oublier le
prix du sang dans ce genre d’évènement ! Les voies d’une refondation d’un
pays ne peuvent-elles que passer par la barbarie conjointe au progrès décrété
? C’est là que se tient l’immense désir de paix, de sécurité, de justice
sociale (égalité, fraternité, quelques valeurs en chute libre) de la plupart d’entre
nous. C’est au sein de l’ensemble de la population que ces préoccupations étant
les plus vives, il convient de parier sur l’intelligence et de faire acte de
foi en la bonne volonté et le désir de paix. Il faut renverser, pacifiquement et
démocratiquement, les principes contribuant à l’asservissement des masses, pour
réfléchir ensemble à l’avenir.
D’un point de vue pratique, une idée pour établir une liste
de futurs constituants consisterait à appeler les citoyens engagés à citer une
ou plusieurs personnes dont ils considèrent les qualités éthiques et
professionnelles comme remarquables. Oui, il est certain qu’une révolution
citoyenne se prépare et murît dans un long temps. C’est ce qui la distingue d’un
évènement brutal et insurrectionnel, d’une guerre civile telle que l’Histoire,
de tout temps, nous donne le spectacle d’épouvante. A qui une telle perspective
fait-elle peur ? Qui sont ceux que la promesse de contribuer à une
réflexion citoyenne de construction de notre avenir exalte ? Certainement pas
des gens très sots, ou la tête remplie de mensonges, comme vous en voyez trop. Discréditer
le choix de la voie démocratique rénovatrice est déjà en soit une manière d’ouvrir
le champ à de graves conflits civils. Refuser à autrui un engagement citoyen que
l’on s’interdit n’est pas satisfaisant.