J’avais mentionné une citation de Jean-Claude Michéa dans L’Empire du moindre mal (Essai sur la civilisation libérale) et je n’avais pas encore pensé à quel point elle est pertinente, car il y écrit que ce que les oligarques et leurs journalistes et « philosophes » chiens de garde appellent dans leur novlangue « la démocratie », c’est le libéralisme.
Or, il est vrai que la légalisation du mariage homosexuel est une victoire du libéralisme ; et cela n’aurait été « une grande victoire de la démocratie » que si cette loi avait été obtenue par la volonté populaire, en particulier par un référendum d’initiative citoyenne (ou à l’initiative d’une assemblée législative tirée au sort parmi la population), ce qui n’est évidemment pas le cas.
Voici la citation de Michéa :
« Dans le « Figaro magazine » du 6 janvier 2007,
Alain-Gérard Slama écrit que « les deux valeurs cardinales sur
lesquelles repose la démocratie sont la liberté et la croissance ».
C’est une définition parfaite du libéralisme. À ceci près, bien sûr, que
l’auteur prend soin d’appeler « démocratie » ce qui n’est, en réalité, que
le système libéral, afin de se plier aux exigences définies par les « ateliers
sémantiques » modernes (on sait qu’aux États-Unis, on désigne ainsi
les officines chargés d’imposer au grand public, à travers le contrôle des
médias, l’usage des mots le plus conforme aux besoins des classes
dirigeantes). Ce tour de passe-passe, devenu habituel, autorise
naturellement toute une série de décalages très utiles. Si, en effet, le
mot « démocratie » doit être, à présent, affecté à la seule définition du
libéralisme, il faut nécessairement un terme nouveau pour désigner ce
« gouvernement du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple » où chacun
voyait encore, il y a peu, l’essence même de la démocratie. Ce nouveau
terme, choisi par les ateliers sémantiques, sera évidemment celui de « populisme ».
Il suffit, dès lors, d’assimiler le populisme (au mépris de toute
connaissance historique élémentaire) à une variante perverse du
fascisme classique, pour que tous les effets désirables s’enchaînent
avec une facilité déconcertante. Si l’idée vous vient, par exemple, que le
Peuple devrait être consulté sur tel ou tel problème qui engage son
destin, ou bien si vous estimez que les revenus des grands prédateurs du
monde des affaires sont réellement indécents, quelque chose en vous doit
vous avertir immédiatement que vous êtes en train de basculer dans le
« populisme » le plus trouble, et par conséquent, que la « Bête immonde »
approche de vous à grands pas. En « citoyen » bien élevé (par l’industrie
médiatique), vous savez alors aussitôt ce qu’il vous reste à penser et à
faire. De là, évidemment, les Charles Berling et les Philippe
Torreton. » (Climats, 2007, p. 85-86 ; Flammarion, Champs Essais, 2010, p. 84-85).