Cher Philouie,
Vous maintenez (comme Peillon) le terme de morale religieuse en sous-entendant que le terme de morale se réduit à un ensemble de règles de comportement. Il me semble que l’on peut être religieux au sens de reconnaître une révélation et admettre qu’il y a lieu de différencier entre agir par devoir et agir par intérêt. Ce n’est pas pareil de donner une information à quelqu’un d’une part par devoir, c’est-à-dire parce qu’on juge que c’est bien et donc obligatoire de le faire (car personne ne veut autre chose que ce qu’il estime être bien et ce qu’on juge le mieux, on s’oblige à le faire) et d’autre part, par intérêt, pour en tirer en échange un autre bien, différent de l’acte lui-même. Il me semble que St Augustin, St Thomas ou Pascal ont fait cette distinction : on ne doit pas être charitable pour obtenir le paradis en récompense, sans quoi on n’est qu’intéressé et calculateur, on n’est pas charitable, mais uniquement parce que c’est bien.
Certes pour le religieux, cela a tendance à être bien parce que Dieu le veut mais alors cela signifie comme le suggère bien Epictète que si Dieu avait voulu que vous tuiez votre propre enfant pour lui complaire, vous le feriez. Ce qui est inquiétant.
Mais en supposant un sens moral chez le croyant et étant donnée cette distinction entre agir par devoir et par intérêt, alors on peut distinguer foncièrement morale et moeurs religieuses. L’interdiction de manger du porc est une des moeurs religieuses parmi d’autres, il faut croire en la révélation mosaïque ou mahométane pour pouvoir voir dans le respect de cet interdit un bien. En revanche, si on est capable de percevoir qu’il est bien de respecter la vie humaine, d’éduquer les enfants, de rendre à chacun ce qui lui est dû... sans référence religieuse particulière, alors il existe bien une morale indépendante de toute révélation religieuse. En effet, tout ce qu’il y a d’authentiquement moral dans la révélation religieuse, à côté de la chosification de la femme, de la pratique de l’esclavage ou de la lapidation des enfants gloutons qu’on trouve par exemple dans le Lévitique, car tout heureusement n’est pas de cet ordre là, tout ce qui est moral relève d’un appel au respect de la personne humaine. On peut donc se passer de croyance religieuse pour être moral au sens où je l’ai définit, il suffit de vouloir respecter la personne humaine.
Je dis que la justification de cette morale n’est pas la récompense qu’on peut en espérer mais le bien qu’on y trouve immédiatement, sans quoi ce n’est plus de la morale mais de la prudence. Il n’y a là aucun espoir à chercher : je vois un enfant qui vient de tomber sur la rame de métro, dans quelques instants il sera écrasé et si j’interviens, je risque y laisser la vie mais je sens que je peux le faire et j’ai un minimum conscience de ce qui me rattache à cet enfant ainsi qu’à sa mère qui a eu un moment d’inattention, en gros le désir de vivre. Dès lors, ce danger pour un membre de l’humanité et son entourage (ses parents) m’atteint directement, si j’ai un tant soit peu de cœur, rester sans rien faire me serait plus douloureux que d’intervenir, je trouve donc un soulagement dans l’acte même d’intervenir. Je n’agis donc pas ici par intérêt, puisque ce ne sont pas les conséquences imaginables de cette intervention qui m’intéressent (et de fait elles sont plutôt défavorables) mais j’agis par devoir, c’est-à-dire parce que je trouve un bien dans l’intervention elle-même. L’acte moral est une fin en soi ou n’est pas.
Je prétends donc que le guerrier qui met volontiers sa vie en jeu pour protéger la communauté le fait parce qu’il y trouve immédiatement une satisfaction extrême qui relève d’une part d’un goût naturel de la plupart des mammifères mâles pour le risque et d’autre part du sentiment d’appartenance à un corps collectif que vous appelez vous-même communauté. Le fait de rester sans rien faire face à la menace ennemie serait pour lui beaucoup plus douloureux que de partir au devant de celui qui menace de s’attaquer aux siens. Le courage dont on parle ici est donc primitivement une joie et on pourrait analyser les choses de la même façon pour d’autres vertus plus morales encore.
Vous voyez donc bien que le fondement que je propose (à la suite de bien d’autres) pour la morale n’est pas la raison pure mais bien le désir de vivre, qui est un état de conscience qui affecte tout l’être, en tant que ce désir de vivre tend à l’expansion indéfinie de soi. Là où la raison doit intervenir, pour l’incroyant comme pour le croyant, ce n’est pas pour fonder l’acte bon mais pour faire le tri entre les sentiments libres et actifs et les sentiments serviles et passifs : c’est ainsi que peut être cultivée la vertu, que vous appelez habitus, par la réflexion sur les causes et les circonstances qui peuvent se présenter, qu’Aristote appelait déjà « disposition à faire ce qui est bien » acquise par réflexion régulière sur l’expérience. C’est cette réflexion qu’il y aurait lieu de convoquer et de cultiver dans un cours de morale, car à la différence du sentiment qui la fonde et qui fait comme vous le dites bien que n’importe qui est capable ponctuellement d’un acte bon, la vertu morale, elle, demande à être identifiée, générée et cultivée avec soin.
Donc je crois pouvoir à bon droit maintenir qu’il y a une seule morale, qui est indépendante de la religion sans y être pour autant radicalement opposée. Dans cette conception de la morale, on vit autant pour les autres que pour soi, il n’y a pas d’opposition entre société et individu, mais harmonie ; à vrai dire, on ne vit finalement ni pour soi, ni pour les autres, mais pour vivre, pour la vie, ce qui n’a rien de contraire à la possibilité de sacrifier sa vie pour les raisons que j’ai indiquées. Et vous voyez bien que cela n’a rien d’une « morale de loup ».
06/05 21:51 - philouie
Je voudrais essayer de récapituler au moins en quoi nous sommes d’accord : le fait de (...)
06/05 21:39 - philouie
Alors, vous comment faites vous pour ramener cette jeunesse à la morale ? C’est une (...)
05/05 16:48 - Henrique Diaz
Philouie, (j’espère que vous trouverez ces réponses, pas facile au bout d’un moment (...)
05/05 15:58 - Henrique Diaz
Ce paradoxe peut se résoudre facilement si on prend garde que ce qu’il y a de moral dans (...)
05/05 15:47 - Henrique Diaz
Nous discutions de savoir si tous les hommes veulent la liberté ou non. Manifestement quand on (...)
05/05 15:00 - Henrique Diaz
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