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Commentaire de Henrique Diaz

sur Une morale laïque est-elle souhaitable ?


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Henrique Diaz Henrique Diaz 5 mai 2013 11:23

J’ai bien compris que votre propos est de dénoncer mon soit-disant totalitarisme. Je vous réponds que vous confondez universalisme et totalitarisme. Dans ce qu’on a pu, appeler totalitarisme, pour désigner le nazisme aussi bien que le stalinisme ou encore l’ultralibéralisme, on a érigé une différence en genre, un élément particulier en totalité, excluant donc de l’humanité tout ce qui ne rentre pas dans cette différence. L’Etat ou le marché deviennent véritablement totalitaires, au sens péjoratif du terme, non parce qu’ils exercent un contrôle sur tout mais parce qu’ils veulent tout gouverner, y compris les opinions des gens. Et gouverner, exercer le pouvoir exécutif, c’est ramener les différences non à la généralité mais à une seule différence : quand c’est légitime, on décide par exemple qu’en ville tout le monde roulera à 50 ; quand c’est proprement totalitaire, on décide que toute personne non-aryenne, non agenouillée devant Staline ou encore non consumériste, sera regardée comme un danger pour la société.

Un enseignement de la morale à l’école ne saurait donc être totalitaire dès lors qu’il est bien entendu, comme je l’ai dit dans mon article (comme aussi semble l’annoncer Peillon, mais je ne peux en effet garantir cela), qu’il n’y a de morale authentique que sur la base d’une adhésion librement réfléchie et discutée à ses principes. Gouverner, c’est prévoir mais surtout aussi imposer jusqu’au prochain gouvernement ; éduquer, c’est proposer des valeurs, du savoir qu’il s’agit de faire siennes jusqu’à la fin de sa vie (ce qui ne saurait marcher quand on impose l’essentiel - le secondaire devant parfois l’être, comme les règles d’orthographe, encore que...).

D’autre part, quand on se place dans une perspective universaliste héritée du Contrat Social de Rousseau, et donc « droit de l’hommiste », on affirme que tous les hommes doivent être respectés, que tout homme sans arme physique à la main a des droits que lui confère son appartenance à l’humanité et notamment son pouvoir de raisonner. Une telle morale est donc nécessairement une arme intellectuelle assez faible certes contre le totalitarisme mais irrécupérable par lui : on ne saurait jamais justifier aucune mesure de gouvernement totalitaire par le principe universel de réciprocité et les droits de l’homme qui en découlent.

Sur la notation, dans les matières que vous évoquez, l’histoire, l’économie, la philosophie ou encore la morale et les lettres, c’est d’abord un pouvoir assez médiocre. Même si cela a pu amener des élèves à croire qu’ils devaient écrire ce qu’ils croyaient que le prof croit ou que s’ils ont eu une mauvaise note, ce n’est pas à cause du manque de rigueur et de cohérence de leur raisonnement, mais parce qu’ils avaient écrit quelque chose déplaisant pour le prof, cela n’a jamais empêché un élève de continuer de penser ce qu’il croyait juste. Je ne sais quels exercices exactement prévoit le ministère pour éviter le sentiment de devoir aller contre sa liberté de conscience, mais il n’est pas difficile de concevoir des exercices du type « face à telle situation concrète, comment devrait-on réagir d’un point de vue républicain et pourquoi ce serait considéré comme juste ? » : d’un point de vue républicain et non pas « selon vous » de sorte que l’élève aura effectivement à faire le lien entre des éléments de cours vus en classe et cette situation dont il n’aura pas été discuté spécifiquement. Ainsi il y aura un contenu objectif notable et l’élève aura pu apprendre ce que c’est que cette république dans laquelle il doit, qu’il le veuille ou non, vivre. Pour ce qui est de le convaincre du bien fondé de ces principes de morale républicaine, l’enseignant pourra difficilement éviter d’essayer de le faire en cours : non, ne pas interpeller le passant pour lui rendre son billet et le garder, cela n’a rien de normal ; mais ce n’est pas sur cela qu’il pourra noter ses élèves.

Enfin, l’échec de l’EN depuis les années 90 coïncide avec la libéralisation et la dérégulation à tout va de l’économie en France : pourquoi dès lors continuer d’imposer des règles à l’école ? Concrètement, malgré tous leurs efforts, comment voulez vous que les enseignants réussissent à faire passer du savoir et de la réflexion quand le niveau d’obtention du bac est tellement réduit qu’il faut vraiment être sur une autre planète pour ne pas l’avoir ? Ajoutez à cela la suppression légale directe ou indirecte du redoublement, ainsi que la suppression indirecte de toute mesure permettant de faire respecter l’autorité des enseignants, vous aurez tout compris.


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