Bonjour,
En Novembre 2005, lors de la période délicate des émeutes de banlieux, j’exerçais comme éducatrice de rue sur un quartier de Paris. Nous étions alors une équipe de 6 éducateurs et entendions certains jeunes de notre quartier évoquer le déplacement de certains en Banlieux pour participer aux échauffourées. Nous n’avions, toutefois pour notre part pas de contact direct avec des jeunes qui revendiquaient une telle participation. Toutefois, le sujet était « brûlant » et les jeunes ne manquaient pas de nous l’amener régulièrement sur un plateau comme plat de résistance. Ce qu’ils souhaitaient connaître ? Notre positionnement en tant qu’adulte éducatif référent. Allions-nous condamner, relativiser, voire adhérer à ce qui pour eux représentait « un mouvement de colère lié à une souffrance qu’une nation avait jusqu’ici refusé de reconnaître et d’entendre. ». Or ce positionnement des éducateurs n’était pas des plus simples puisque justement, ils divergeaient au sein de l’équipe. Et le débat central était bien celui de la légitimité de la cause ! Un soir, je suis allée faire un tour de quartier avec une collègue (ce que les éducateurs de prévention spécialisé nomme le travail de rue). Nous sommes allées à la rencontre de certains jeunes et nous sommes posés auprès de certains d’entre eux. Celui avec lequel je discutais, un jeune adulte, m’expliquait qu’il sortait de prison pour braquage et qu’il était parvenu à conserver l’argent du larcin qui allait lui permettre de monter un commerce. J’engage alors un discours éducatif avec lui tandis que son copain, en train de se rouler un joint, entame le sujet des émeutes avec ma collègue. La question de notre présence ou non auprès des jeunes pendant qu’ils préparent et surtout fument leur joint, n’étant pas l’objet de notre sujet, je préciserai juste ici qu’il s’agissait d’un autre point de désaccord de l’équipe face à l’attitude à adopter dans cette situation. Et quid de la réponse quand deux éducateurs qui n’ont pas le même angle de vue partent ensemble en rue ? Bref. Consciente que le jeune homme avec lequel j’échangeais était bien englué dans une délinquance de taille, et lasse, comme cela peut arriver à un éducateur, de demander, pour caricaturer si « voler c’est vraiment bien ? », je n’ai pas manqué de tendre l’oreille pour entendre le discours qui s’annonçait avec ma collègue sur la cause des émeutes. Je connaissais par ailleurs le point de vue de celle-ci sur le haschich, son positionnement était de rester avec un jeune qui fume pour saisir l’occasion d’aborder le thème avec lui, et ce, sous prétexte qu’il nous devenait parfois difficile d’échanger avec certains tant ils passaient leur temps à fumer. Je n’adhérais pas à cette vision. Ceci n’était pas mon positionnement éducatif, elle le savait, et nos échanges ne manquaient pas parfois d’être très tendus. Mon positionnement était de pouvoir aborder le sujet avec le jeune éventuellement lorsqu’il roulait son joint mais de le quitter lorsqu’il l’allumait. Mais ne nous égarons pas...
Le jeune adulte allume donc sa « cigarette qui fait rigoler » et je me sens comme prise dans un piège parce que mon souhait n’était pas de rester mais il était tard, le travail de rue se fait toujours à deux et je doutais fort de la tournure de la conversation qui allait avoir lieu sur le thème des émeutes connaissant également les idées de la collègue sur le sujet. Quant la question fatidique arrive : « Qu’est-ce tu penses de ces voitures qui brûlent partout, franchement, il n’y avait rien d’autre à faire, non ? Comme ça maintenant on va peut-être nous écouter ! Qu’en penses-tu, répète le jeune à ma collègue ? (C’est fou ce que ces gamins maîtrisent l’art de savoir à qui adresser leurs questionnements). »Ce qui me dérange« , répond ma collègue, »c’est lorsque des agriculteurs déversent et gâchent des tonnes de pommes de terre devant des locaux ministériels". Le jeune, tire une bouffée de sa roulée et ne répond rien. Il venait d’entendre ce qu’il souhaitait. Un éducateur (homme ou femme, peu importe), venait de lui dire que la cause était juste. Cela lui suffisait pour en retirer l’idée que la question des moyens devenait secondaire.
Des débats sur ce que j’appelle cette forme de confusion sociétale, nous avons tant eu lorsque j’exerçais comme éducatrice. Et j’avais si souvent le sentiment que nous étions à l’opposé d’une pensée éducative constructive.
Pourquoi cette illustration ? Elle me permet une sorte d’introduction à la réponse que je souhaite apporter à l’ensemble des participations liées à cet article. Un article que je reconnais sans détour provocateur, voire satyrique. Il s’agit d’un style d’écriture auquel j’ai parfois plaisir à avoir recours et je l’assume. Le titre, en lui-même, n’est-il pas une simple provocation ? En revanche, l’exercice a heureusement un dessein. La provocation en elle-même n’a de sens que si elle souhaite adresser un message. Dans la foulée, je reconnais donc sans souci que la comparaison entre l’action de M. Bové est celle des émeutes de Banlieux est hâtive, que comme le dis, Zen, « des distinctions s’opposaient entre des formes de violence » (mais je nuancerai également aussi ce propos).
Quant au débat sur l’utilité ou non de l’altermondialisation et donc sur l’action de José Bové et d’autres qui le soutiennent, comme le dit très justement Marie-Pierre, nous sommes ici dans un hors sujet puisque l’article dit clairement dés ses premières lignes qu’il ne s’agit pas d’un propos sur l’intérêt ou non du courant altermondialiste. Et je précise encore quelques lignes plus loin dans mon article que ce n’est pas la cause qui est jugée ici mais la manière de la porter. « Il faudrait refuser à ce qu’il y ait un débat en France sur le sujet », nous dit un commentaire ? Cela n’est écrit nulle part dans l’article et telle n’est pas ma pensée. GRL nous dit, entre autres que « Bové est utile », ce à quoi je réponds oui dans sa lutte, dans sa dénonciation, voire probablement dans ses convictions, mais pas dans la manière d’agir ! Ainsi, lorsque GRL nous dit « l’altermondiaslisme fait peur », il est, au regard de l’article, hors de propos (même s’il peut avoir raison de manière générale). Et lorsque le propos du même auteur continue sur une désolation que certains « n’admettent pas que l’on se plaigne qu’il y ait des détracteurs et des militants ». Le hors propos est d’autant prégnant que ce même auteur semble se perdre dans un paradoxe assez amusant en m’accusant d’auteur subversif. Un oeil rapide sur la définition du petit Larousse nous permet, pour être précis, de lire la définition du terme : « qui est de nature à troubler ou à renverser l’ordre social ou politique ». Ainsi, M. Bové et moi-même nous retrouvons ici qualifié du même adjectif ! . Et je prends ici la chose comme un compliment, nous pas pour l’association avec M. Bové, mais pour le qualificatif.
Enfin pour terminer sur la question de la forme de l’article, le « Bobo-Alter » ou « Alter-Bobo » est une caricature que je reconnais volontiers mais qui vient illustrer, non pas de manière absolue le militant altermondialiste mais bien une forme de pensée confusionnelle chez certains de nos concitoyens. Ce sont eux que je nomme ici les « Alters-Bobos », je parle de ceux qui s’inscrivent dans ce courant dans lequel, que cela plaise ou non, il est, « pour certains », à la mode de s’engager, ou disons plutôt de le dire (il y a effectivement parfois des nuances entres les paroles et les actes !). Je parle de ceux qui confonde la cause et la manière de lutter pour cette cause, je parle de ceux qui sans le savoir, et sans doute un peu perdus, ne parlent finalement que d’une révolution sans véritable dessein de construction. Car je ne peux adhérer au discours qui déclare que l’Etat ne prône que le rapport de force. La question qu’il y ait un fond de vérité dans cette idée n’a même aucun intérêt. Balancer de la sorte tout un possible de débats et d’actions citoyennes, en un revers de main de ce type, correspond à inciter à brûler les villes.
Car quel est le fond du sujet ? Reprenons mon exemple du début, pour ma collègue la cause est légitime aussi ne parvient-elle pas à rappeler la limite de la règle, de la loi du cadre. Pour certains d’entre vous, cette cause n’a pas la même légitimité et celle de M. Bové est plus "sérieuse, plus politique » ! On dira en tant cas qu’elle concerne plus de personnes... Ce qu’il y a de pire, encore, et que je dénonce avec force, c’est qu’il s’agit parfois des mêmes personnes qui pourraient défendre corps et âme la cause des émeutiers de Banlieux (imaginez que j’écrive un jour un article sur ce sujet, ne vous voyez-vous pas déjà poindre un certain type de réponses ?), pour dire ensuite que celle de M. Bové, ce n’est tout de même pas la même chose ! Nous sommes ici dans ce que j’appelle cette forme d’esprit confusionnel que je mets en scène en utilisant le personnage « Alter Bobo ».
« Des distinctions s’opposaient entre des forces de violence qui n’ont rien à voir entre elles », dites-vous, Zen. Je ne cautionne en rien la violence des émeutiers de Banlieux, je ne l’excuse pas non plus, particulièrement lorsqu’elle porte atteinte à des personnes. Et la situation, à ce sujet ne manque pas de gravité car certains gamins ne font plus la distinction entre le matériel et la personne humaine et ont franchi la barrière de ce minimum de repères. Très inquiétant ! Mais au-delà de ce qui n’est tout à fait notre propos ici, vous poursuiviez votre phrase « cette demande de distinction entre les formes de violence » en ajoutant « et en dehors du problème des OGM et des dégâts d’une certaine forme de mondialisation ». Nous sommes donc là au coeur du sujet, mon cher Zen : la gravité du délit dépendrait-elle de la légitimité de sa cause et par voie de conséquence, de celui qui la commet ? Et qui sera juge pour se positionner quant à cette légitimité ? Une vraie question, non ? Et de nature véritablement éthique me semble t’il !
Je me suis penchée sur d’autres articles rédigés par d’autres rédacteurs d’Agoravox. Deux d’entre eux ont retenu particulièrement mon attention. Celui de « Le Hérisson » intitulé « José Bové, non-violence et résistance » est intéressant car il retrace la genèse du mouvement altermondialiste et celui de José Bové. Il nous dit ainsi, troisième paragraphe : « Les agriculteurs contestataires s’inspirent des méthodes non violentes : Martin Luther King, Gandhi ou Lanza Del Vasto... L’objectif est assez simple : l’analyse de départ est qu’une loi peut être parfaitement injuste et une société, violente, sans pour autant qu’il y ait agression visible. Lorsque l’on est confronté à une telle situation, il faut désobéir à la loi, sans atteinte physique, mais par tous les autres moyens possibles ». Une conception, qui si elle s’avère bien représentative du mouvement, ne manque pas, dans un état de droit, de faire appel à une incommensurable subjectivité !
Eric Nicolier, autre rédacteur d’Agoravox, dans son article « Prisonnier Bové Joseph, levez-vous ! ». Nous dit « En clair, la Cour de cassation rappelle (...), qu’une prise de position politique ne peut pas venir justifier une infraction. Et d’enfoncer le clou : » en tant que citoyens d’un Etat démocratique, (les prévenus) disposaient de voies de droit, leur permettant éventuellement de discuter, devant les juridictions compétentes, de la légalité des autorisations d’essais en plein champ qu’ils considéraient comme irrégulières au regard des normes européennes". L’auteur fait également référence à cette question de « jugement pour délit d’opinion » et il nous précise, en tant que journaliste indépendant spécialisé en droit que "le délit d’opinion n’existe pas en France. (...). On ne trouvera pas non plus une seule personne dans les prisons françaises, condamnée en raison de ses idées. » Il n’y a donc pas de condamnation de l’idée mais de la manière de l’appliquer si elle est délictuelle. La référence de José Bové au statut de prisonnier politique est donc dans ce contexte une manipulation qui questionne tout simplement l’éthique qu’il applique à son combat. Un combat aussi noble ne mérite t’il pas le respect de certaines valeurs humanistes comme nous le dit Eric Nicolier en conclusion ! « Au-delà de la mise au point juridique de cette affaire, il n’est pas interdit de penser que s’approprier le titre de »prisonnier politique« est aussi quelque peu injurieux à l’égard des vrais prisonniers politiques : ceux qui remplissent les geôles de nombreux pays du monde pour avoir seulement exprimé une opinion. Mais c’est un détail qui ne semble pas avoir affecté le condamné de droit commun Joseph Bové », ni la majorité des personnes qui ont déposé ici un commentaire et qui ne manquent pourtant pas de parler de valeurs, d’éthique et d’humanisme ! Pourquoi ce silence sur cette question ? Aloi n’a pas manqué d’avoir le courage d’aborder la question et je l’en remercie très sincèrement.
Je terminerai enfin en reprenant quelques idées exprimées dans des commentaires qui expriment on ne peut plus ma pensée :
« Quand on prend la responsabilité d’être un leader, on au aussi des devoirs. On est leader par l’exemple, le regard positif sur les gens et les évènements, ce qui permet d’être en force de proposition sur les problèmes abordés. La révolte semble légitime si elle a une base politique... L’état de droit ne serait-il qu’une notion très relative ? » (Vincent 44). Ce rôle de leader, qu’il soit social, syndical ou politique est selon moi, celui d’un citoyen, soit d’un acteur soucieux d’aujourd’hui et de demain. En ce sens, ses actes et ses paroles s’adressent aussi bien à ses semblables adultes qu’aux gamins, petits citoyens de ce demain. Il me semble bien que cette notion de citoyen, acteur positif, est une des valeurs d’Agora Vox. Le journaliste citoyen, acteur du 5è pouvoir est, me semble t’il un être conscient du rôle qu’il joue dans sa démarche citoyenne...
Un autre point intéressant soulevé par Lévèque : « La délinquance est désormais souvent perçue comme un signe de mal être et de problèmes sociaux dans laquelle l’agresseur est perçu comme une victime de la société ». Et il est bien là, le lien, certes ténu, mais réel entre les émeutiers des Banlieux et la réaction de M. Bové. La victimisation devient une attitude échappatoire qui semble prendre une certaine ampleur dans la société française d’aujourd’hui.
Enfin, P:xxx.x 79.29.135 nous dit le 14 février à 20h47 : « José Bové a t’il le droit de défendre les idées qu’il défend ? Oui, sans aucun doute. Peut-être même a t’il raison sur certains points. Mais il ne peut le faire au mépris de la loi et briguer un mandat présidentiel, son manque de respect de la loi apparaît impardonnable ».
Et son attitude de révolte face à une décision de justice, associée à sa comparaison au statut de prisonnier politique d’autant plus..., ajouterais-je pour terminer mon propos.
Merci pour vos commentaires et pour les références et liens apportés par certains d’entre vous. Au plaisir. Cordialement. Isabelle Buot-Bouttier
01/03 23:33 - ROCQUE
@ Isabelle , vos papiers sont d’une qualité exceptionnelle . J’éprouve beaucoup de (...)
24/02 17:08 - philou
@ talleyrand : Ne pas suivre aveuglément les radicaux : d’accord. Alors on va faire (...)
24/02 16:59 - philou
Merci de revenir au coeur du débat. Il est bien possible que je me retrouve, par conviction et (...)
24/02 16:26 - philou
Mais enfin qu’est-ce que les « bobos » vous ont fait ? J’ai l’impression que (...)
24/02 15:51 - philou
Excellente réflexion, qui est bien au coeur de l’article. Les dégradations des chasseurs (...)
24/02 15:32 - philou
plutôt d’accord, ça ne s’imposait pas. Mais considérons la chose. Si les bourgeois (...)
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