@ Traroth :
Votre dernier comm ne s’adresse pas à moi mais je me permet de donner mon point de vue.
Est-ce
que l’inégalité implique logiquement une hiérarchie, serait-elle
globale, et le cas échéant serait-elle une forme d’oppression ? Car c’est
bien l’oppression que nous voulons débusquer et combattre dans le
combat anti-autoritaire auquel je souscris (même si aujourd’hui je
nuance ma définition de l’autorité).
Votre comm contient donc des questions essentielles qui vaudraient pour chacune un débat !
Est-ce
que l’inégalité implique logiquement une hiérarchie ? A un niveau oui, à
un autre niveau non. Il me paraît difficile de ne pas d’abord prendre
au cas par cas avant d’envisager une hiérarchie globale. Si ma compagne
est excellente dans un domaine où je suis incompétent, cela ne lui donne
pas de place hiérarchique sur moi, sauf si éventuellement si voulais
m’aventurer dans son domaine d’excellence. Et encore, je pourrais
choisir de l’apprendre ailleurs et de donner une préséance (donc
d’accepter une hiérarchie) à quelqu’un d’autre. Cette hiérarchie est -
comment dire ? - conditionnée. C’est-à-dire qu’elle concerne un domaine
précis et défini, dans des moments et espaces prédéfinis, et pour une
durée limitée si possible prévue dans le contrat. Car il s’agit d’un
contrat ponctuel où les niveaux sont distinguée : le niveau de relation
teinté d’une hiérarchie limitée et temporaire, et le niveau où cette
teinte n’est pas présente.
Je ne suis pas globalement sous
l’autorité de cette personne, et quand j’y suis son autorité est
bienveillante. Si ce n’est pas le cas je m’en vais ! J’apprécie cette
forme d’humilité face à une meilleure compétence, qui évite la confusion
de ce que j’appellerais l’égalitarisme revendicateur. Il y a donc deux
niveaux : sur le fond , sur la vie en général, cette personne - ou ma
compagne - n’ont pas plus autorité sur moi que moi sur elle, mais dans
un domaine précis et dans un cadre précis je lui accorde une autorité
passagère et limitée.
En réalité cela se passe dans de nombreux
domaines. L’enseignant n’est pas l’égal de ses étudiants, en matière de
connaissance et de droit de gérer le temps d’enseignement. L’étudiant
doit reconnaître cette préséance. Le respect est une manière de
reconnaître cette préséance : ne pas couper le prof sauf s’il en laisse
l’opportunité, ne pas lui claquer la porte au nez - même le laisser
entrer en classe avant soi. J’ai beaucoup aimé "Le cercle des poètes
disparus", et j’ai moi-même enseigné de manière interactive, mais même
cette forme de rapprochement n’exclut pas l’autorité et la part de
hiérarchie qui en découle. Par contre elle change les modèles.
Idem
pour un coach sportif, à qui le club de foot reconnaît une compétence
et qui le signifie par le respect de sa personne et de ses consignes.
Cette vision du respect était développée dans le temps. Mais 68 - qui a
apporté à mon avis des choses positives - a aussi fait des dégâts dans
l’éducation et la transmission, et dans la reconnaissance qu’une
autorité peut être sage et bienveillante. Il faut dire que l’extrême
hiérarchie malveillante des fascismes (brun ou rouge) étaient encore
dans toutes les têtes et que ce modèle a été rejeté (le père avec,
d’ailleurs, et au final l’homme avec. Les femmes allaient faire mieux et
elles ne feraient pas la guerre. Hum...).
Je pense donc qu’une
autorité peut être conditionnée, limitée, et bienveillante. A partir de
là la hiérarchie est une organisation des relations dans un domaine et
un moment donné. Par exemple le Président a une prévalence sur le
Premier Ministre. C’est fonctionnel, cela ne signifie pas que l’un a
plus de valeur personnelle et qu’il aurait des droits sur l’autre plus
que ceux qui sont prévus dans le contrat au fin de réaliser un objectif.
Un
problème qui vient ensuite est la tendance à admirer et à se soumettre à
celui ou celle qui a une autorité conditionnée, et à lui attribuer une
autorité et préséance hiérarchique globale. Cela doit être travaillé. La
globalité dans ce domaine est une forme de rigidité psychologique. A
chaque situation ses règles et conditions. Deux enfants peuvent avoir
des relations hiérarchiques qui se construisent spontanément. l’un est
plus audacieux, ou plus fort, il donne le mouvement, et l’autre le suit.
Difficile à éviter totalement. Par contre on peut développer des
domaines d’excellence propres à chaque enfant de manière à ce qu’il y
ait des domaines où il ne suit pas. La question des caractères joue
aussi dans cette dynamique : certaines personne sont spontanément dans
une posture d’initiateurs, et donnent le mouvement un peu partout.
Cette
manière de voir me permet de nuancer les relations, de les épaissir,
alors que l’égalitarisme est une sorte de rouleau compresseur qui ne
tient plus compte de la multiplicité des situations et des mouvements
intérieurs et nuances de comportement que cette multiplicité implique.
Si
l’on repense au système de répartition des espaces et des tâches selon
les sexes, chacun avait des domaines de pouvoir et de compétence. La
notion de chef de famille n’était pas simplement une domination sur le
groupe familial, mais une représentation juridique de la famille, et une
responsabilité devant la loi. Aujourd’hui nous apprenons davantage à
fonctionner dans un monde multipolaire où les pouvoir et responsabilités
sont davantage répartis (pas partout mais c’est la tendance). C’est une
nouveauté, comme le concept d’égalité a été une nouveauté.
Voilà
en gros. A part cela je pense que l’on devrait redéfinir avec précision
ce qu’est l’égalité et comment l’articuler avec les inégalités
rédhibitoires et naturelles, comment gérer les différences sans faire
passer un rouleau compresseur dessus, et ne pas cultiver de posture
victimaire si notre voisin a des compétences ou des responsabilités que
nous n’avons pas. Nous sommes en train d’oublier ce qu’est un monde
différencié et comment il fonctionne pour que chacun y trouve sa place
sans être victime. Une différenciation discriminante mais au sens
premier de la discrimination : la distinction des qualités et
compétences, et des conditions temporaires qui en découlent. Donc pas un
différentialisme absolu. Un monde dont les relations hiérarchiques
internes sont mobiles, limitées, conditionnées, bienveillantes.
Sur
ce dernier point il y aurait beaucoup à dire encore pour ne pas être
mal compris. Peut-être devrais dire : un monde multiniveau, mobile, où le
droit de l’individu est un garde-fou contre les dérives autoritaires.
Mais le droit de l’individu est lui-même en partie à repenser, car il y a
des nécessités collectives qui doivent aussi être prises en compte.
Lesquelles nécessités collectives peuvent aussi n’être qu’une forme de
dictature.
... Je m’arrête là pour le moment !