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Commentaire de Lord WTF !

sur Le voile, un signe religieux ostentatoire ?


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Lord WTF ! Lord WTF ! 13 juin 2013 18:53

Ce qui est intéressant avec l’attribut supposément « ostentatoire » associé au dit voile « islamique » est de constater qu’à la base l’islam est une religion de la non-ostentation : à savoir de la pudeur vestimentaire (modesty), qui du point de vue coranique est bien plus restrictive envers les hommes que les femmes : interdiction de la soie, de l’or, des vêtements pompeux symboles de vanité ou de fierté excessive ; de la même façon qu’il n’existe au niveau théologique (quelque soit les écoles, même les wahhabis) d’obligation de se distinguer des non-musulmans puisque ni au niveau coranique, ni dans la Tradition, ni durant la période mohamedienne de telles injonctions n’ont existé (les premiers musulmans s’habillaient comme les non-musulmans).

Par contre, l’interaction avec d’autres groupes –notamment Juifs et Chrétiens orientaux dans le domaine byzantin, a conduit les musulmans à se confronter à cette question des signes distinctifs ostentatoires : ce qui conduira ultérieurement à l’établissement de lois somptuaires, interprétés dans la perspective islamophobe comme une volonté d’humiliation des dhimmis alors que ces dites lois : 1) * ne faisaient que reconnaître un fait accompli : à savoir l’existence théologiquement supportée des signes distinctifs chez les Juifs et les Chrétiens, et 2) * le principal propos était d’interdire aux musulmans de se faire passer pour juif ou chrétien. Ici le voile n’intervient pas puisqu’il était commun et banal au M.O, toutes obédiences confondues, avec une origine culturelle bien plus que religieuse.

Donc confrontés à l’existence de signes religieux ostentatoires, les théologiens islamiques en arrivèrent donc à cette affirmation « quiconque imite un peuple est l’un d’entre eux » reprenant un concept issu de la Halakha (donc valide d’un point de vue islamique, vu son ascendance abrahamique), déjà repris auparavant par les Chrétiens (Orientaux) : ici pour rappeler le contexte, donc l’inexistence de la laïcité : les codes vestimentaires des peuples se confondaient généralement avec leur religion.

i.e. : les Juifs se référaient donc à la Halakha et à l’interdiction formelle de ressembler, imiter, etc… les Gentils : ou plus bibliquement « ne pas suivre la voie des Gentils », la référence midrashique la plus habituelle –en référence à la période en Egypte, étant formulée ainsi : "pour ne pas avoir changé leurs noms, leur habillement, leur langue, ils furent sauvés/rachetés". Cette injonction s’appuie aussi sur la figure essentielle de Jacob, en rappelant anticipa les dangers de l’assimilation inhérents à l’exil et donc la menace pour la préservation de Klal Yisraël, mit en place ces mesures obligeant à se distinguer par le nom, l’habillement et la langue …le prophète Sophonie rappelle aussi cette obligation (Sophonie 1:8) "…et je punirai princes et fils de roi et tous ceux qui portent des vêtements étrangers".

Côté chrétiens orientaux, il y avait le zunnar (ceinture ou gaine) : généralement présenté comme ayant été imposé par les musulmans – réécriture islamophobe de l’Histoire, fondée idéologiquement et non factuellement, alors qu’il préexistait à l’islam, et était une récupération chrétienne du principe halakhique détaillé précédemment : et servait donc à se distinguer des autres, et comme signe de prestige. Par exemple, l’empereur Tiberius II, confronté à une rebellion de « païens » ordonnera que tous ceux qui ne répondront pas à son appel, voient leur zunnar coupé –en public, et destitué de leur charge officielle. Ils existaient d’autres signes distinctifs côté chrétien, notamment coupe de cheveux particulière que l’on retrouve sur des fresques byzantines

Les théologiens (et leaders) musulmans se retrouvaient donc confrontés à une problématique ignorée jusque-là, et double : d’un côté la peur de l’assimiliation (=perte de l’identité islamique) puisque les musulmans pouvaient s’habiller comme ils le souhaitaient, et donc « innovation » avec injonction faite aux musulmans de se distinguer ; de l’autre la peur que les non-musulmans se mettent à s’habiller comme les musulmans : ce qui conduit donc au final à introduire le concept de distinction « ostentatoire » qui s’appliquera à TOUS les groupes : le propos n’étant pas l’humiliation des autres groupes et mais la capacité à distinguer chaque groupe, du fait du mode d’organisation politique/sociale (taxes différentes, service militaire, cours de justice différentes, organisation en communautés, etc…).

Cependant cette injonction à la distinction ne s’applique que dans le cadre d’une société islamique (i.e. : où le mode d’organisation socio-politique dérive de la jurisprudence islamique) puisque a priori n’existe aucune injonction à se distinguer des non-musulmans dans le cadre d’une société non-islamique (les exilés en Ethiopie, les musulmans de la Mecque, Médine à l’ère mohamedienne) ou même dans le premier état islamique mohamedien de Médine : que ce soit les théologiens wahhabi, sunni tradi, ou Ibn Tamiyah (une référence habituelle de l’islamisme contemporain) il y a « ijma », il n’existe pas d’obligation faite aux musulmans de se distinguer des non-musulmans.

Concernant le voile, on est face à une problématique multiple, selon la perspective que l’on adopte : avec ce paradoxe fondamental qui veut qu’à la base le voile n’est pas conçu comme un signe distinctif/stigmatisant mais comme une manifestation de foi, la foi en islam étant lié au concept de pudeur (modesty) et donc non-ostentation : on en arrive donc à ce paradoxe où un symbole religieusement fondé sur le refus de l’ostentation (pudeur) devient un symbole ostentatoire, et si j’ajoute la perspective des théories sociales féministes (concept patriarcat) il devient un symbole d’oppression des femmes, tandis que si j’ajoute une perspective politique/idéologique –qu’elle soit laïque, « islamophobe » ou islamiste : les trois adoptant des grilles de lecture convergents, il devient un symbole politique fondé sur la volonté de se distinguer, de se séparer…ce qui conduit à nouveau à un autre paradoxe : à savoir que théologiquement (islam), il n’existe pas d’injonction à se distinguer « ostentatoirement ». Ces problématiques et paradoxes émergeant à chaque fois que la théologie islamique ou les musulmans se retrouvent confrontés à une situation non envisagée, et pour laquelle à la différence d’autres situations/problèmes, les principes de théologie islamique habituels –notamment l’analogie déductive, ne fonctionnent pas : pour la simple raison que cette idée de se distinguer « ostentatoirement » est étrangère à l’islam des origines, et que les situations historiques –détaillées précédemment, eurent des réponses d’ordre socio-politique et non spécifiquement théologiques : puisque les juristes musulmans ont simplement alors repris le principe halakhique et une pratique chrétienne : dans les deux cas, aucune référence possible au Coran, à la Tradition sur ces points précis.

A partir de là, la façon dont on envisagera le voile dépendra avant tout d’une perspective idéologique : soit on lui accorde une dimension politique, soit on lui associe une dimension purement religieuse : et à chaque fois on rebondira sur le même paradoxe : selon telle ou telle perspective, il est un signe « ostentatoire », selon telle autre il est une manifestation de foi, répondant au concept de « pudeur » –vestimentaire, et donc de non-ostentation…et bien entendu, cela n’en devient que plus compliqué lorsque on envisage autant sa perception que sa signification selon que son port s’inscrit dans une société où les musulmans forment la majorité (là on pourra se référer au choix aux théories sociales féministes et donc à son caractère oppressif, soit à l’anthropologie et à son caractère culturel a priori), ou dans une société où les musulmans sont une minorité : là on est confronté soit à la liberté de religion (nombre de femmes le portent volontairement), soit à une grille de lecture idéologique où le voile est conçu comme un outil politique ou de refus d’assimilation/volonté manifeste de se distinguer (islamisme)…il n’empêchera pas qu’à chaque fois, on retombera toujours sur le même paradoxe : on part d’un refus /une réticence religieux(-se) de l’ostentation/distinction (pudeur associée à la foi), on arrive à une manifestation religieuse « ostentatoire » et « distinctive »…

Enfin, le monde contemporain –avec le développement d’internet, et du virtuel, permet d’envisager une autre perspective : plus précisément voir de quelle façon s’exposer en public n’est plus limité à l’espace public « réel » mais aussi à l’espace public « virtuel » : et là on aboutit à un autre paradoxe : à savoir que ce n’est pas forcément dans les sociétés les plus « libres » –notamment les sociétés les plus ouvertes en termes de relations hommes/femmes, que l’on s’expose le plus publiquement, lorsqu’on intègre ce nouveau champ « public » qu’est le domaine virtuel : en effet, récemment une étude s’intéressant au degré d’exposition (partage de la vie privée) sur internet a abouti à des résultats somme toute surprenant : puisque est arrivé en tête un des pays où la division vie privée/publique et limitation des interactions hommes/femmes sont sans doute les plus extrêmes : à savoir l’Arabie Saoudite en tête avec un taux de 60%, le pays du bling-bling et du showing off : à savoir arrivant largement derrière avec un taux de 15%, quant à la France on en est à 10% : deux autres « gros » pays musulmans (Indonésie et Turquie) eux en sont à 50% et 40%, quant à un autre pays (Inde) avec des problématiques assez similaires arrive en second : bref le constat étant que moins on s’expose publiquement dans le réel, plus on s’exposera publiquement dans l’espace virtuel, plus espaces public et privé sont divisés, plus on s’exposera dans le virtuel…il sera intéressant de voir de quelle façon les théologiens wahhabis ou islamistes conjugueront avec une telle évolution : puisque si l’on considère qu’existe une volonté manifeste de limiter autant les interactions hommes/femmes que musulmans/non musulmans : l’émergence d’un nouvel espace publique « virtuel » pose de sérieux problèmes…bref on peut se dévoiler tout en conservant son voile pour résumer la nouvelle problématique.     

   

 

 

 

 

 

 

  


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