Argante
Non ! j’aime mieux plaider.
Scapin
Eh ! Monsieur, de quoi parlez−vous là, et à quoi vous résolvez−vous ?
Jetez les yeux sur les détours de la justice ; voyez combien d’appels et
de degrés de jurisdiction, combien de procédures embarrassantes,
combien d’animaux ravissants par les griffes desquels il vous faudra
passer, sergents, procureurs, avocats, greffiers, substituts,
rapporteurs, juges, et leurs clercs. Il n’y pas un de tous ces gens−là
qui, pour la moindre chose, ne soit capable de donner un soufflet au
meilleur droit du monde. Un sergent baillera de faux exploits, sur quoi
vous serez condamné sans que vous le sachiez. Votre procureur
s’entendra avec votre partie, et vous vendra à beaux deniers comptants.
Votre avocat, gagné de même, ne se trouvera point lorsqu’on plaidera
votre cause, ou dira des raisons qui ne feront que battre la campagne,
et n’iront point au fait. Le greffier délivrera par contumace des
sentences et arrêts contre vous. Le clerc du rapporteur soustraira des
pièces, ou le rapporteur même ne dira pas ce qu’il a vu. Et quand, par
les plus grandes précautions du monde, vous aurez paré tout cela, vous
serez ébahi que vos juges auront été sollicités contre vous, ou par des
gens dévots, ou par des femmes qu’ils aimeront. Eh ! Monsieur, si vous
le pouvez sauvez−vous de cet enfer−là. C’est être damné dès ce monde que
d’avoir à plaider ; et la seule pensée d’un procès seroit capable de me
faire fuir jusqu’aux Indes.
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Géronte
Que diable alloit−il faire dans cette galère ?
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Molière : les fourberies de Scapin acte II scène 1