L’exemple des Piraha me laisse assez dubitatif.
Je ne vois pas ce que vous pensez pouvoir conclure
de l’observation de cette peuplade.
Qu’elle ait un langage pauvre, une representation du monde à l’avenant avec
seulement quelques rares esprits pour faire métaphysique n’est pas en soi
probant de quoi que ce soit quant à leurs ancêtres.
Il se pourrait parfaitement qu’ils soient issus d’une civilisation sacrificielle avec des représentations religieuses complexes mais qu’à un moment donné un groupe soit pour une raison x ou y allé s’isoler ici ou là sans chercher à ou sans avoir les moyens de préserver la tradition et ait fait souche en dépit d’une pauvreté culturelle qui aura même pu aller en s’aggravant.
Bref, ces Piraha ne sont pas tombés de la lune, ils ne viennent pas en droite ligne d’Adam et leur dénuement actuel n’est la preuve de rien.
C’est là toute la différence entre une approche toute théorique « à la girardienne » et l’approche habituelle dans les champs de l’anthropologie et de l’ethnologie : pas étonnant que vous en arriviez à expliquer que les anthropologues et ethnologues pâtissent de ce manque d’ " une réflexion évolutionnaire capable d’envisager des régressions, des disparitions ou disons des évolutions vers des formes vestigiales du sacrifice."
Le fait que des groupes agro-pastoraux/agriculteurs puissent devenir des groupes « chasseurs-cueilleurs » non pas en raison d’une quelconque « régression culturelle » supposée mais généralement en raison d’un changement d’environnement, en conséquence le plus souvent de migrations contraintes et causées par changement climatique, éruption, cataclysme, etc…. est parfaitement connu des anthropologues et ethnologues : notamment concernant le domaine amérindien où c’est une situation assez commune. Et même en cas d’absence de mémoire collective de ce passé « agricole », existent suffisamment d’éléments culturels permettant de le déterminer le cas échéant et de les distinguer des autres groupes ayant toujours été « chasseurs-cueilleurs ».
Exemple : en Amazonie, nombre de groupes de chasseurs-cueilleurs ont une organisation sociale hiérarchisée et complexe, notamment la présence dans le registre vocabulaire de concepts renvoyant à un système d’aristocratie « foncière » qui bien entendu n’existe pas dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs et renvoient donc au passé d’agriculteurs des groupes concernés : validant dans certains cas, le mythe de l’El Dorado, évoquant une ou x civilisations urbaines amazoniennes, aujourd’hui disparues, mais dont les héritiers chassent, cueillent, cultivent quelques végétaux voir ont des animaux, et ont leur « jungle garden » : jungle garden par exemple absents chez les groupes strictement chasseurs-cueilleurs. De même le degré de sophistication des constructions (huttes, maisons communes, etc…) permettent aussi de distinguer les groupes ayant eu une histoire de « sédentaires » des groupes nomades (qui généralement n’ont pas de construction plus élaborée que quelques branches couvertes de feuillage).
Dans le cas des Piraha : un élément que vous n’avez pas noté : l’absence de nombre : les Piraha sont incapables de compter : ne distinguent le résultat d’une pêche : exemple 10 poissons vs 100 poissons : uniquement en terme de « un peu de poissons » et « beaucoup de poissons », et bien entendu pareil entre 100 poissons, noix, etc… et 500 poissons, noix, etc… la conséquence pratique étant qu’ils se font généralement arnaquer par les Brésiliens « civilisés » faisant business avec eux …dans ce cas précis, l’absence de nombres suffit à considérer comme peu probable un passé d’agriculteurs ou de pasteurs : vous comprendrez aisément pourquoi…
Il n’existe pas de « pauvreté culturelle » dans ce groupe, mais un refus conscient et volontaire de toute production : exemple : quand bien même ils pourraient « imiter » les groupes voisins, ou par exemple produire les paniers tressés qu’ils utilisent au quotidien avec des matériaux plus solides : ils ne le font pas et cela « volontairement » : ils n’ont absolument aucun intérêt dans la conservation de quoi que ce soit (que ce soit des paniers plus solides, ou des machettes échangées contre des fruits, poissons, noix, etc…machettes qu’ils utiliseront deux ou trois fois puis abandonneront), ni dans la production de quoi que ce soit.
Mais si ces arguments ne vous suffisent pas : pléthore d’autres éléments vont en ce sens : n’existent chez eux aucune pratique rituelle, ni sacrificielle ; er termes de rivalité mimétique : les Piraha ne produisent RIEN, ne conservent RIEN (pas même la nourriture), et partagent TOUT ce qu’ils « ont » (entre guillemets puisque ici « avoir » n’a aucun sens) : les cas de violence dans ce groupe sont suffisamment rare pour que D. Everett (parti à leur rencontre en tant que missionnaire, ayant fini athée pour le coup) en plus de trois décennies à vivre à leur contact n’en est répertorié que deux ou trois : de nature non collective…Même au niveau du désir de la femme de l’autre, les Piraha ne connaissent pas ce problème : les couples se faisant et se défaisant selon les attractions du moment sans que cela ne gène quiconque : de même le « cocufiage » chez les couples « mariés » (pas de véritable mariage, mais liaison « affirmée ») ne porte à aucune conséquence sérieuse : de quelle façon le désir mimétique peut-il opérer chez un tel groupe : qui peut résolument être considéré comme « primitif » en termes de culture matérielle (ils ne produisent rien) voir même culture tout court (aucun système de mythes, un des langages les plus simples au monde, absence de nombre, de vocables pour les couleurs, etc…) et donc peut servir d’indicateur quant aux groupes « archaïques » humains…(« archaïques » et « primitifs » uniquement pour que l’on se comprenne).
Si tant est qu’il ait su parler, il ne lui restera à peu près rien de sa compétence passée, il n’apprendra plus ou si peu, ne sera intéressé que pour rester sur son île et les religieux souhaitant l’évangéliser échoueront à coup sûr.
Pourra-t-on en conclure qu’il n’a pas connu le langage et est né hors de toutes représentations culturelles ? Certainement pas.
Il me semble que l’on est ici un peu dans la même situation.
Nope…les Piraha
fondent leur culture justement sur ce refus de tout « changement » ou
d’intégration d’apports extérieurs : ils ne sont pas un groupe isolé, sont en
contact permanent avec d’autres groupes (indiens ou autres), échangent, etc…
mais refusent d’intégrer quoi que ce soit, notamment parce que convaincus de
leur supériorité et de la parfaite adaptation de leur mode de vie à leur
environnement (sur ce point, ils n’ont pas vraiment tort)…D. Everett qui en a
emmené plus d’un dans les métropoles brésiliennes, et donc par avion a pu
constater que absolument RIEN ne les intéressait, ni ne les surprenait : ni le
voyage en avion, ni les villes, etc…
Sinon, c’est trés « girardien » comme contre-argument, si il n’y pas de preuve de pratiques sacrificielles cela confirme qu’elles ont existé...bref l’absence de preuve de telle ou telle pratique devenant preuve en soi de leur existence (antérieure)...l’idée girardienne que les mythes mentent, et donc que sa théorie est valide puisque le mensonge supposé et détecté par G. en est la confirmation.
Back to the Piraha, un psychologue -nom à retrouver, les ayant étudié, les considère comme le groupe le plus
heureux (ou « mentalement » sain) au monde : n’existe chez eux ni
dépression, ni suicide, etc… d’ailleurs D. Everett en a fait la découverte de
façon « malheureuse » puisque lors de ses premiers contacts visant à
les évangéliser (échec total lorsqu’il n’a pu affirmer avoir rencontré que ce
soit Jesus ou Dieu), il leur parla de sa mère dépressive ayant fini par se
suicider : son récit poignant ayant engendré une explosion d’hilarité chez les
Piraha, pour qui l’idée de suicide est autant incongrue qu’étrangère…
Le seul moyen d’y voir plus clair serait de pouvoir rapprocher génétiquement cette peuplade d’autres peuples mieux connus (et sûrement mieux dotés culturellement).
Les Piraha sont le dernier groupe survivant du groupe Mura, exterminé en raison de sa résistance à toute tentative d’assimilation ou « pacification » : les groupes Mura historiques ne semblent pas avoir été très différents (culture matérielle, et de ce que l’on sait de leurs cultures) des Piraha : à savoir des chasseurs-cueilleurs nomades, vivant en bord de rivière.
On aurait alors la preuve (si tant est qu’on ne l’ait pas déjà) que des régressions culturelles sont possibles.
Je ne reviendrai pas sur cette idée de « régression culturelle » pour des groupes qui n’ont pas opéré une régression culturelle mais se sont adaptés à un nouvel environnement, auxquels ils se sont adaptés, et en conséquence ont produit un nouveau modèle culturel (éliminant parfois le « superflu » relatif à leur culture antérieure).
Si par contre leur ADN est humain mais absolument unique, alors peut-être que l’hypothèse girardienne devra être questionnée sous ce rapport.
Bon, voilà ce que je peux en dire.
Niveau ADN, les Piraha (femmes) n’ayant aucun problème à échanger des faveurs sexuelles contre telle ou telle chose : un grand nombre des Piraha actuels sont métisses : bien que l’apprentissage du portugais soit chez eux aussi limité que l’intégration de toute chose extérieure.
Pour le reste, vous me semblez reprendre l’argumentation habituelle des « girardiens » : à savoir que les anthropologues, les ethnologues seraient au final les moins qualifié dès lors qu’on parle d’anthropologie et d’ethnologie ou manquent de « réflexion » : bref que tout le monde (notamment dans les familles littéraires et « psy ») sont qualifiés mais pas ceux qui justement passent au crible l’immense accumulation de donnée ethno-anthropologiques accumulées au cours des deux derniers siècles au moins…et sont bien obligés de constater que des concepts sous-entendant une « évolution » et scindant les groupes humains entre « primitifs » et « civilisés », les religions entre « archaïques » et « évoluées/élaborées », etc...ou même l’existence d’universels culturels sont loin d’être validés : et cela pas uniquement par l’étude de groupes/cultures préhistoriques/historiques mais aussi par celle de groupes contemporains ainsi que la découverte de nouveaux groupes (i.e. : les groupes dits « isolés »).
Donc, je reviens à mon argument principal : la pratique (rituelle ou autre) du sacrifice n’est pas un des invariants qui selon vous se dégagerait : pas même que n’existe d’arborescence : dans les faits l’incapacité même à pouvoir envisager le Réel ne serait-ce que de la façon dont certains groupes actuels le font, sans parler de groupes préhistoriques ou proto-humains, témoigne suffisamment que nous ne sommes pas face à un "arbre et ses diverses branches évolutives et racines primitives" mais face à des mondes/réalités soit interagissant entre eux, soit s’ignorant : le seul invariant étant l’expérience humaine fondant ces réalités : bien entendu, une approche « toute-mimétique » niant par définition la singularité, ne peut accepter un tel modèle fondée sur la Singularité en premier lieu (à noter que mimétisme et singularité peuvent aller de pair, le mimétisme opérant sur les structures ou les « vecteurs » -nécessité de formes et systèmes identifiables/stables- permettant aux singularités de s’exprimer : cf mon exemple du Jeu : tous par mimétisme suivent les mêmes règles, voir imitent les stratégies de l’autre mais seule la singularité fournit les moyens de « gagner »).
19/01 16:36 - Luc-Laurent Salvador
message de service : vous pouvez me contacter par mèl à « lulo POINT com AT gmail POINT com » (...)
14/09 13:47 - philouie
Abraham. Abraham est considéré comme le père des musulmans, il en est en quelque sorte la (...)
14/09 11:39 - philouie
La place du désir en Islam. Bien évidement, lorsque je parle de désir, il n’est (...)
12/09 12:42 - philouie
De la place du désir en Islam. D’abord une petite précision, lorsque je parle de (...)
10/09 13:32 - philouie
Bonjour, Nous avons terminé d’examiner les sources coranique. Notre récolte est maigre. (...)
08/09 11:09 - philouie
La vie : Don et Sacrifice. Sourate 108 1. Nous t’avons certes, accordé (...)
Agoravox utilise les technologies du logiciel libre : SPIP, Apache, Ubuntu, PHP, MySQL, CKEditor.
Site hébergé par la Fondation Agoravox
A propos / Contact / Mentions légales / Cookies et données personnelles / Charte de modération