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Commentaire de Lord WTF !

sur De l'animal à l'homme par l'invention du religieux : retour sur le modèle sacrificiel de René Girard


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Lord WTF ! Lord WTF ! 3 août 2013 02:08

@Eric :

Merci de votre commentaire.

En premier lieu, réponse rapide sur cette idée de "procès à charge" : généralement un procès implique le passage au grill d’un individu : dans mes coms, je n’opère pas par ad hominem ni à l’encontre de Girard, ni à celle de LLS : je livre des contre-arguments, des objections, etc… quant aux théories girardiennes : bref une critique : rien de très exceptionnel donc : et somme toute légitime en considérant que le girardisme se présente sous la forme d’un système théorique monstrueux prétendant expliquer le moindre aspect de la nature humaine autant que des cultures humaines : vous conviendrez que proposer des « hypothèses » initiales si ce n’est valides (validées empiriquement ou falsifiables) plausibles pour en arriver à un système totalisant autorise a minima que l’on interroge un tel modèle théorique : de la même façon que cela fût le cas pour un Freud, un Hegel, un Marx, un Nietzsche , etc… certains d’entre eux ayant résolument produit quelque fascination « mimétique » sur le lecteur (alors) Girard.

 

Quant à la façon dont Girard, ou plus largement les « girardiens » présentent ses travaux : cela est très variable et dépendra du contexte : ses travaux seront présentés comme une nouvelle herméneutique notamment si le caractère pseudo-scientifique est évoqué (critères poppériens), mais d’un autre côté dès que ses travaux sont questionnés : autant soudainement la prétention que ses thèses ont bel et bien été vérifiés surgit autant le système étant tellement bien verrouillé qu’aucun contre-argument ni objection n’est accepté : un peu comme un Freud pour qui autant les rêves sexuels que les rêves non-sexuels confirme ses théories…Avec Girard, certes existent des sites archéologiques supposant la pratique de sacrifice humain ou x rites et mythes suggérant le bouc-émissariat à vertu pacificatoire peuvent être cités à l’appui (bien que la chronologie fasse défaut : on est généralement au Néolithique et non pas au début du processus d’hominisation), néanmoins le nombre de mythes, rituels et sites ne montrant aucune évidence de violence que ce soit en pratique, que dans le propos/sens, etc… est largement plus important : ce qui selon G ou les girardiens ne font que peu de cas : puisque est postulé l’idée que les cultures tendent à effacer, travestir, etc… toute évidence de leur violence originelle. Encore mieux, si un mythe ou un rituel évoque violence, activité sacrificielle, bouc-émissaire, etc… bien entendu il est automatiquement employé comme preuve de la validité de la théorie, mais si un mythe ou rituel ne fournit aucun indice de violence originelle, d’activité sacrificielle, etc… lui AUSSI validera les dites thèses ou hypothèses puisque comme dit précédemment : les cultures optent pour le mensonge, effacement, travestissement, etc… afin d’effacer toute trace, évidence, etc… de cela dans le modèle girardien. N’existe donc aucun moyen de réfuter un tel système : partant de là soit on l’adopte par un « acte de foi » soit on le rejette.

 

Quant à dire que Girard est prêt à évoluer : ayant lu grosso modo l’ensemble de son œuvre –ceci incluant pléthore d’interviews, débats/discussions avec des girardiens « hérétiques » ou des opposants critiques : la conclusion qui s’impose est que G bien que d’un naturel affable, n’a jamais varié d’un iota sur ses hypothèses : qu’il est accepté la proposition de LLS sans émettre de réserve n’a rien d’exceptionnel (il est très amical généralement : mais hocher amicalement la tête et retravailler une théorie sont bien différents), cela n’implique pas que G ait changé de position et ait objectivement accepté que ce soit les objections de LLS sur certains points de sa théorie, ou celle de x autres élèves : dont Eric Gans fondateur de l’Anthropologie Générative, et girardien d’obédience hétérodoxe : je vous invite à lire certaines discussions avec G, accessibles sur le site du journal d’Anthropologie Générative, http://www.anthropoetics.ucla.edu/ , pour constater que Girard est loin d’être un penseur prêt à se remettre en question : cela se saurait si au cours des dernières décennies G avait intégré certaines objections, et développer/revoir en conséquence ses hypothèses : cela n’a pas été le cas : sa carrière brille par sa constance à être « étanche ».

 

Mais peu importe, là je digresse : mon propos étant que face à un tel modèle théorique : aucun procès à charge n’est livré, simplement des objections sont soulevés et des critiques sont formulées.

 

Vous évoquez d’ailleurs la critique catho à l’encontre de la lecture girardienne du NT (et de la Bible plus largement) : il ne me semble que la « néo-théologie » qu’il est produite témoigne particulière de sa capacité à intégrer d’éventuelles critiques : tout le contraire. Puisque vous évoquez ce point : une brève digression : G réinterprète le NT – et donc la figure christique, sous l’angle de sa théorie sacrificielle/bouc-émissaire : sans être ni chrétien, ni spécialiste du NT mais tout de même assez informé sur le sujet : que je conçoive le NT comme une construction « mythiste » élaborée ou ensemble synthétique de témoignages approximatifs voir « scénarisés » sur les actes/paroles d’un personnage historique « Jésus » ne change rien au fait que j’aurai toujours du mal à le lire selon une interprétation girardienne : autant orientée (afin de « valider » sa théorie) que décontextualisant complètement le mythe/récit de l’ère/culture historique dont il a émergé et où il a été produit (attentes messianiques, occupation romaine, etc…) : i.e. : Jésus ne m’apparaît aucunement comme étant une « victime innocente » arbitrairement bouc-émissarisée/sacrifiée aux yeux de ceux qui le condamnent : à savoir les Romains et l’élite juive –notamment le clergé : dans les deux cas, Jésus est bel et bien coupable : dans le premier de menace à la pax romana (sédition, troubles à l’ordre public, etc…) sanctionné par une condamnation à mort selon le droit romain, dans le second coupable d’une des pires hérésies doublé de blasphème selon la loi juive (qu’on lise la proclamation « Fils de Dieu » en mode « hellénisant » = sens littéral, ou en mode « judaïsant » sens figuré = relation donc au concept de royauté sacrée d’Israël, à celui de Messiah, ainsi que titre pour certains croyants très pieux…) : j’ai donc réellement du mal à voir ici – condamnation judiciaire et non arbitraire, sur la base d’une culpabilité avérée au regard des lois romaines/juives, une illustration du supposé sacrifice d’une victime innocente par une foule hystérico-coupable…Je pourrai aussi ajouter que loin de mettre fin au bouc-émissariat le mythe christique tel que présenté dans le NT le renouvelle avec pour victime sacrificielle –pour deux millénaires à venir, le Judaïsme/les Juifs.

 

Bien entendu, si à l’instar de Girard –que ce soit pour le NT, la Bible ou x autres mythes, le contexte apparaît secondaire voir inutile à rappeler/envisager : je peux en effet interpréter ce mythe ou un autre à toutes les sauces : girardienne ou autre –ce qui bien entendu n’est pas l’approche adopté dans le champ ethno-anthropo, ou considérer que même la culpabilité avérée selon tel ou tel système juridico-légal relève du bouc-émissariat à vertu sacrificiel, alors que supposément nous sommes face à de la violence arbitraire, possiblement légitimée/rationalisée/mythifiée a posteriori par le groupe « coupable » l’ayant perpétré. Jésus n’est « innocent » que selon le paradigme/mythe chrétien –néanmoins la théologie chrétienne n’est résolument pas girardienne : Girard ayant des penchants « marcionites » dans sa négation de la violence divine : pour un Romain, Juif contemporain (supposition d’un Jésus historique) : il est coupable, même pour un proto-chrétien au fait des lois romaines et juives, de plus pourrai-je ajouter il est particulièrement coupable envers ses disciples quant à sa prédiction sur l’imminence –de leur vivant- du Royaume.

 

Bon je ne vais pas revenir sur tout, néanmoins je reviens sur votre réponse à mon évocation de la nécessité d’un agent « supernaturel » ou a minima « non humain » : vous répondez : " Je dirai absolument pas. Au contraire. Dans sa »scène originelle« si je puis dire, puisqu’il s’agit d’un non partage, toutes les possibilités sont ouvertes. Depuis une rivalité autour de désir naturels, manger, coucher etc, jusqu’à un hasard complet. Il y a en a un qui ramasse un caillou, colore ou non, par hasard et déclenche une rivalité. Non seulement il n’est pas indispensable qu’il y a ait un désir zéro, mais il n’est même pas nécessaire qu’il y ait un vrai désir pour entrainer une imitation. Tous cela se passe parfaitement de tout agent supranaturel. "

 

Ici ne voyez aucune intention malicieuse ou fallacieuse tentation, simplement l’intervention de la logique, et l’application à la théorie girardienne des mêmes critiques que G –n’étant ni avare de critiques, ni timide- emploie à l’encontre de grosso modo tout le monde (ethnologues, anthropologues, freudiens, évolutionnistes, etc…) au fil de ses productions.

 

Donc sur la question du désir : que dit G : que cette question est intimement lié à l’avènement de l’Homme : i.e. : lorsque le premier homme est devenu homme : et donc le processus d’hominisation. Processus envisagé sous l’angle de l’imitation, énoncé dès le départ avec une citation d’Aristote sur les capacités mimétiques exceptionnelles de l’homme, comparé aux autres animaux.

 

Néanmoins G apporte une précision ou un développement en évoquant dans les « rites » animaux l’absence d’immolation sacrificielle : la seule chose manquant à l’animal pour devenir humain étant la victime-substitut. Peu avant, il critique les évolutionnistes et leurs hypothèses, en évoquant le caractère spéculatif, leur confiance exagérée en eux-mêmes ou en leurs hypothèses et avec une pique pour la science moderne qui selon lui confondrait le problème (sa formulation) et sa solution : i.e. la simple formulation du problème serait prise pour la solution au dit problème. Passage plutôt amusant lorsqu’on lit Girard et qu’on peut apprécier ses lacunes niveau modestie…

 

Donc les évolutionnistes sont des pédants hyperconfiants et auto-aveuglés par leurs prétentions, G nous offre donc une solution : le processus d’hominisation par la découverte du pouvoir du désir mimétique : le « meurtre fondateur » étant la fondation même de toute société humaine, mais de l’Humanité même.

 

La question étant donc d’où ce désir originel a-t-il pu surgir ? Les besoins naturels ne me semblent pas être le biais par lequel G supporte sa théorie : je ne dors pas, je ne mange pas, je ne bois pas, etc… par mimétisme mais par nécessité. Donc l’objet du désir ou l’origine du désir se trouve ailleurs : or tout désir étant mimétique –ce qui grosso modo revient à dire qu’aucun désir n’existe en soi, ou que le désir n’existe pas : illusion de désir, simples reflets- il faut bien qu’existe un premier désir imitable : le désir doit se manifester (vu, perçu, etc…) pour être ressenti : donc la question demeure quel désir le premier homme a-t-il imité ? Quel autre acteur le premier homme a-t-il pu imité ? Cet acteur ne pouvant logiquement être « humain » –avant ce premier homme ou homo mimeticus pas d’autre humain- ni animal – on ne devient pas humain en imitant l’animal mais en imitant un autre humain, ne reste que peu d’options donc : options incluant un agent « non humain, non animal » …

 

Vous évoquez un caillou ramassé par hasard, mais tout désir étant mimétique, le désir poussant à ramasser ce caillou est donc lui aussi mimétique : i.e. : le caillou ne peut être désiré que parce qu’il est objet de désir d’un autre : qui est donc cet autre au début de ce processus ? Vous dites qu’un « vrai désir » n’est pas nécessaire : soit, mais l’objet du désir lui l’est –quel qu’il soit, et à nouveau on tourne en rond non pas en raison d’une supposée malice de ma part mais en raison de l’énoncé-postulat très clair de Girard : tout désir est mimétique : ergo aucun désir ne nait spontanément : il est toujours imitation d’un désir autre. Donc encore une fois : il doit exister à un moment ou l’autre : un désir (0) déclenchant le premier cycle de rivalité/violence mimétique. Et comme avant le proto-humain ou le premier humain : il n’y a que des animaux : le désir étant mimétique, il ne peut exister de rivalité ou d’imitation de désir entre l’animal et le proto-humain/l’humain, ergo pour qu’existe un désir (0) imitable, un agent non-humain, non-animal doit opérer…

 

Je n’ai aucun doute à ce que G ait eu conscience de cela dès le départ : sa théorie quelque soit son intérêt « profane » me semble bel et bien avoir dès le départ inclut une perspective chrétienne : bref une néo-théologie, ou nouvelle mythologie parfaitement élaborée : du premier humain « imitant » au « sacrifice » christique : il s’agit bien d’une réécriture post-moderne du mythe (judéo)chrétien : le désir mimétique avec ses conséquences (violence, meurtre, bouc-émissaire, etc…) fondant les sociétés humaines jouant le même rôle que le pécher originel d’inspiration diabolique lui aussi fondant l’Humanité et les sociétés humaines ; la même perspective négative : d’un côté l’Humanité nait par un meurtre, de l’autre elle naît par un acte sacrilège (désobéissance à Dieu) : dans les deux cas l’Humanité est « souillée » dès l’origine, souillure qui se transmet ( on nait dans le pécher, ou on nait créature mimétique avec le potentiel de violence que cela inclut) et bien entendu nécessité dans les deux cas de la révélation christique afin soit se libérer du mécanisme mimétique vecteur de violence, ou du pécher…

 

Bref c’est un peu du « rewriting », dans les deux cas : l’Humain nait sous le signe de la Violence –violence à l’encontre du bouc-émissaire, violence sacrilège à l’encontre de Dieu : avec pour bonus que dans les deux cas, l’Imitation intervient : dans la néothéologie girardienne : l’imitation source de rivalité et productrice de violence et de meurtre, remplace la biblique tentative sacrilège d’imitation de Dieu (accès au fameux Arbre)…Bref comme nombre de penseurs post-modernes (i.e. trauma post-holocaustique) Girard ne peut voir la naissance de l’Homme que dans la Violence, et étant chrétien il suit un script connu qu’il va simplement réactualiser en optant pour l’usage de concepts plus profanes : il réécrit un mythe des origines et de la Fin.

 


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