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Commentaire de COLRE

sur De l'animal à l'homme par l'invention du religieux : retour sur le modèle sacrificiel de René Girard


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COLRE COLRE 5 août 2013 19:08

Bonjour, 

Je reviens à notre intéressant débat de ces derniers jours. J’ai finalement bcp appris de nos échanges, car ils m’ont permis d’avoir davantage assuré la confiance de ma position, étant partagée, parfois à la remarque près, par Lord. Etant lui et moi de même formation anthropologique, j’en déduis que notre désaccord avec la méthode girardienne est vraiment d’ordre disciplinaire. De mon point de vue en tout cas, j’évoque la démarche de validation des hypothèses par les faits (« par le terrain »). Je vois bien que vous n’êtes pas d’accord et considérez que vos hypothèses sont également testables et réfutables, ce que je conteste.

Difficile de mieux vous expliquer mon avis que je ne l’ai fait longuement (Lord aussi), sinon en me répétant encore. Il faut croire que nos « heuristiques » sont trop radicalement différentes, alors qu’elles apparaissent proches, au premier regard. Mais non, il y a une distance sémantique infranchissable dans le maniement de certains concepts (théorie, invalidation, faits, tests, causalité, origine, imitation, cognition…) qui crée le désaccord (ou le malentendu). 

Et puis, il y a aussi le contexte émotionnel différent qui vient aussi brouiller les cartes. Vos longs développements sur le « milieu » scientifique sont pour moi hors sujet, mais importants pour vous. Chez vous, ils font sens et interviennent fortement. J’imagine que le parcours hors « système », le côté penseur « maudit » de Girard participent de son attractivité (ce qui donne sans doute son aspect secte, gourou…). Pour moi, ce trait aurait plutôt tendance à provoquer ma méfiance, mais sans plus. J’aime les chercheurs audacieux qui s’aventurent hors des clous. Mais… toujours à la limite (épistémologique).

Je vais résumer le coeur de mon désaccord. Vous n’aimez pas mon expression de théorie « totalisante ». Ok, elle n’est pas assez claire. Je pourrais utiliser une autre perspective : c’est une théorie « unitaire », qui explique le grand tout par une seule cause. Une seule… c’est pour moi impossible de considérer une théorie anthropologique ainsi. 

J’ai souvent dit ici combien j’avais apprécié les travaux d’E. Morin dans l’émergence en France, du « paradigme » des systèmes complexes. Sans rentrer dans le détail, l’idée d’une cause unique dans le « fonctionnement » d’un système complexe n’a pas de sens. Que la résolution des conflits dans une société humaine ait pu engendrer des mécanismes de focalisation bénéfique sur le « bouc émissaire », ok. Qu’elle soit à l’origine de Tout, excluant le système multifactoriel d’une évolution complexe (biologique et culturelle) est si extravagant que je n’en vois pas l’utilité (ni la pertinence scientifique). D’autant que rien, absolument aucune donnée factuelle, ne viennent étayer l’hypothèse d’une origine de la religion par le sacrifice pour les premiers hommes. Il y a un truc qui cloche.

J’entends bien le rôle que vous faites jouer à la petite scène de la chasse au colobe. Mais la place que vous lui donnez dans la justification de votre hypothèse est hors de toute proportion. J’ai lu une quantité considérable de publications en primatologie, et la masse des observations forme une base de connaissances d’un très grand intérêt dans la perspective de nourrir un éclairage sur l’hominisation. La quasi-totalité des données est d’ordre (proto-)culturel, technique, économique, politique, social, familial… mais quasiment rien sur le symbolique ou le spirituel. Qqes supputations sur la conscience de la mort (l’exemple de la mère qui a gardé longtemps son bébé mort, par ex), mais rien sur une « transcendance » ! la chasse au colobe a été reconnue comme une activité rare, nécessitant une coopération pour sa réussite, et des anthropologues y ont vu une explication d’un mécanisme d’hominisation, vers une plus grande sociabilité.

Je vous suis quand vous envisagez que l’hominisation, dans le fond, peut se comprendre encadrée par ses deux extrêmes, pré-humains / humains. Ce cadre méthodo sert par exemple à modéliser l’évolution des techniques, ou l’évolution des formes sociales du pouvoir, ou de la famille. Mais ni le sacrifice ni le religieux n’existent dans le monde animal non humain. Il faut des capacités cérébrales, cognitives (eh oui… smiley ) qui autorisent les facultés d’abstraction, d’anticipation, et sans doute les facultés langagières.

Voilà. J’aurais encore bcp à vous dire à la suite de votre réponse… mais le temps me manque.

En tout cas, ces échanges m’ont permis de me replonger dans les réflexions sur la théorie girardienne. Elle me dérangeait et je sais mieux pourquoi.
C’était un plaisir enrichissant de discuter avec vous… smiley


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