On le peut, vous le pouvez et je le peux.
Mais tout le monde le peut-il ? Et dans ce cas comment ?
Les faits sont têtus et montrent qu’il y a des prostitué(e)s qui se proposent, et des clients qui demandent. On peut envisager qu’il existe une forme d’éducation pour endiguer ce « mal », si on le considère comme un mal, on peut aussi n’y voir qu’un épiphénomène de la condition humaine et s’occuper de choses plus intéressantes ou importantes.
Il est significatif que la volonté politique prétende vouloir faire correspondre des lois avec des idées de ce genre, alors même que la communauté politique reste constamment au-dessus de cette jungle de légiférations qu’elle fait pousser comme des plantes tropicales en plein soleil. Seule la plèbe reste dans l’ombre de cette oppressante forêt, et qu’est-ce que ça résout ? Si on voulait vraiment traiter le problème que serait en soi la prostitution, alors on ne pourrait faire l’économie d’un débat sur les maisons closes, on ne pourrait faire l’impasse sur le problèmes des réseaux mafieux, mais l’hypocrisie qui recouvre ces sujets est le symptôme à la fois de l’incapacité des politiques à traiter ce genre de problème, et du fait qu’ils mouillent dedans. Il serait vraiment naïf de ne pas s’en rendre compte.
Pour aller plus au fond du problème, quel est justement le vrai problème à l’origine ?
La prostitution ? Elle est la réponse à une demande, et un moyen de subsistance pour quelques personnes.
La représentation que l’on a de la prostitution ? Le puritanisme constitue-t-il une réponse mesurée et raisonnée de ce sujet ?
La sexualité humaine ? La censure est-elle vraiment une solution ? Cf. le freudisme...
L’interférence que forme le pouvoir avec les simples aspirations des simples mortels ? Le pouvoir est par essence soucieux de se ménager des privilèges, ou de les préserver.
L’idéologie féministe qui veut s’accaparer ce sujet et le déformer selon ses préceptes ? Peut-on faire confiance à une idéologie victimaire pour ériger autre chose que des crucifix, des bûchers et des autodafés contre ce qui ne va pas dans leur sens ? Les femmes sont libres, le problème est que certaines d’entre elles n’y croient pas et conçoivent des existences entières à démontrer qu’elles ne le sont pas, ce qui forcément les enferme effectivement dans une prison mentale qui renforce en fait les représentations sexistes. Qu’il existe des inégalités patentes par ailleurs est un autre problème.
Et que dire du machisme qui défend corps et âme son droit à jouir quoiqu’il en coûte en terme d’argent, mais aussi d’humanité et de dignité ? Je vous en laisse juge.
Et les pathologies mentales induites par la civilisation moderne, empreinte d’individualisme prédateur mêlé d’anciennes idées religieuses confusionnelles et puritaines ?
Il est en tout cas bien dommage de réduire à ce sujet à un débat manichéen entre l’homme et ses envies soi-disant irrépressibles d’un côté, et la dimension castratrice féministe de l’autre. Le problème est bien plus vaste, mais pollué par tout un tas de représentations qui entrent en conflit mutuel, et par la tentation politique de contrôler ce domaine par la criminalisation. La répression ne peut pas être une voie saine, elle est plus sûrement le moyen choisi par facilité par celui qui n’a pas voulu prendre en compte la complexité d’un problème et s’y attaquer en amont. La facilité, c’est aussi cacher la poussière sous le tapis, désigner des coupables et donc des victimes, etc. C’est un jeu dangereux et souvent sans issue.
C’est un vaste problème où chacun pourrait découvrir sa propre part de responsabilité, aussi minime soit-elle, s’il le voulait bien et s’il était assez honnête. Non pas nécessairement en tant qu’individu, mais en tant que représentant d’un genre, et d’une civilisation, qui perpétue des représentations, des traditions et des idées.
Mais cela vaut pour bien d’autres choses, et certes pas seulement pour la prostitution.
En tout cas, je ne pense pas que la volonté de l’individu suffise à endiguer un tel problème. Et je pense également qu’en l’état des choses, où chacun mènera son lobbying pour sa propre paroisse, des sujets aussi complexes ne puissent réellement évoluer qu’au fil des temps, mais nul ne peut réellement affirmer en quel sens.
On se rend de plus en plus compte que la coercition qui est la règle dans nos sociétés génère de la pathologie mentale. Pense-t-on que la coercition va résoudre le problème de la frustration, qui est fondamentalement à l’origine de la prostitution ? Elle va plutôt, très sûrement, générer toujours plus de frustration et de pathologie, ce qui débouchera sur des débordements plus graves, à terme. On s’en plaindra, l’on fera des débats, l’on légifèrera, mais on n’aura jamais cerné la cause, alors l’on créera de nouvelles coercitions, de nouvelles pathologies, etc. Voilà le prix à payer pour ce genre de facilités. Notre société cache ses déchets dans les océans, et ses problèmes idéologiques sous des montages de lois, parce qu’on n’a pas le courage de réfléchir fondamentalement les problèmes que génère notre civilisation, parce qu’on ne veut pas la changer, alors on procède par mini-réformes, par petites piques morales... C’est navrant, contre-productif sur la durée, et définit sans doute l’un des mécanismes de la décadence, voire de la chute.