@Emin Bernar Pasa
La littérature et le milieu artistique de la fin d’un XIXe siècle qui s’achève avec la grande guerre, c’est assez fascinant, mais je ne pense pas que l’oeuvre de Proust, contrairement à ce qui se pense en général, en soit un reflet vraiment fidèle. L’esthétique du petit Marcel, c’est celle déjà bien dépassée de Baudelaire, de Ruskin, à quoi il ajoute un peu de bergsonisme ; mais la mixture, quand on y regarde de près, fait doucement rigoler. En son temps, déjà, c’était tout à fait « désuet », pour reprendre votre expression, et je ne vois rien de très intéressant dans la fascination que pouvait éprouver ce petit « flagorneur » (c’était ainsi qu’on l’appelait dans les salons où il fréquentait) pour des milieux dont il fantasme le caractère aristocratique avec la même naïveté que les gens du petit peuple lecteurs de « Point de vue, images du monde », un magazine qui n’existe probablement plus et que je trouvais encore, il y a quarante ans, dans les salles d’attente des coiffeurs et des dentistes, farci de photographies et d’anecdotes touchant à la vie quotidienne des dernières têtes couronnées de la planète. Il y a d’autres romanciers de l’époque, comme Jean Lorrain ou, en moins sulfureux, Anatole France, qu’on ne lit plus guère, mais je ne trouve pas moins intéressants pour la connaissance de l’époque ou pour le simple plaisir de la lecture. La lourdeur un peu germanique du style Proust est des plus fatigantes.
Ca ne m’étonne pas trop qu’un philosophe « pour les nuls » s’enthousiasme aujourd’hui pour Marcel Proust aussi bien que pour un Albert Camus auquel il ne comprend pas grand chose. Je l’ai entendu expliquer « L’Etranger » sans même voir ce qu’il y a de choquant pour nous aujourd’hui dans un roman qui reflète si exactement tous les a priori de la période coloniale. L’an prochain devrait paraître en France - j’entendais cela hier sur France culture-, un « Meursault - Contre-enquête », d’un certain Kamel Daoud, qui devrait quand même remettre un peu à l’heure les pendules.