Nous sommes tous proustiens
Célébrons le 14 novembre le centenaire de la publication chez Grasset de Du côté de chez Swann, premier tome d'A la recherche du temps perdu !

Il y a quelques semaines mon épouse qui est d'origine Tcherkesse, Turque et Stambouliote de naissance me faisait remarquer les couleurs des feuilles des arbres sur la rive gauche de la Seine et sur l'île aux cygnes. Le lendemain j'ai ressenti à nouveau cette impression, et j'ai relu ces dernières pages de Du côté de chez Swann où le Narrateur évoque le Bois de Boulogne :
"un des premiers matins de ce mois de novembre où, à Paris, dans les maisons, la proximité et la privation du spectacle de l'automne qui s'achève si vite sans qu'on y assiste, donnent une nostalgie, une véritable fièvre des feuilles mortes qui peut aller jusqu'à empêcher de dormir." "Et ce matin-là, n'entendant plus la pluie tomber comme les jours précédents, voyant le beau temps sourire aux coins des rideaux fermés comme au coin d'une bouche close qui laisse échapper le secret de son bonheur, j'avais senti que ces feuilles jaunes, je pourrais les regarder traversées par la lumière, dans leur suprême beauté ;" "en face des sombres masses lointaines des arbres qui n'avaient pas de feuilles ou qui avaient encore leurs feuilles de l'été, un double rang de marronniers orangés semblait, comme dans un tableau à peine commencé, avoir seul encore été peint par le décorateur qui n'aurait pas mis de couleur sur le reste, et tendait son allée en pleine lumière pour la promenade épisodique de personnages qui ne seraient ajoutés que plus tard. Plus loin, là où toutes leurs feuilles vertes couvraient les arbres, un seul, petit, trapu, étêté et têtu, secouait au vent une vilaine chevelure rouge."
Oui, nous le savons désormais : nous sommes tous -universellement- proustiens. Mais cela, cette identité, cette fierté nous la devons à Proust, à ce qu'il qu'il a inventé en transformant une sensation, le souvenir involontaire d'une sensation fugace d'un instant en éternité : comme Raphaël Enthoven l'a admirablement dit lors d'une récente conférence à Vichy.
Pourtant certains ne témoignent pas à Proust la reconnaissance de ce qu'il lui doivent...par exemple la ville de Cabourg : il y a quelques années j'ai été effaré de constater sur la place Bruno Cocatrix en face du Grand Hôtel à Cabourg qu'une citation de Marcel Proust - un passage d'A l'ombre des jeunes filles en fleurs - avait subrepticement été remplacée par une citation de François Chalais. Sans doute la volonté d'être moderne était elle à l'origine de cette décision de la Mairie de Cabourg ; la modernité ou l'éternité, il faut choisir !
Voici la citation de Proust, disparue un beau jour de cette Place de Cabourg :
"Quand le matin, le soleil venait de derrière l’hôtel, découvrant devant moi les grèves illuminées jusqu’aux premiers contreforts de la mer, il semblait m’en montrer un autre versant et m’engager à poursuivre, sur la route tournante de ses rayons, un voyage immobile et varié à travers les plus beaux sites du paysage accidenté des heures."
Nous sommes tous proustiens ! cette affirmation sera-t-elle reprise en première page d'un grand quotidien le 14 novembre ? pour rester modeste il faudrait écrire, en démarquant la formule de Nasreddin Hoca : Nous sommes tous apprentis proustiens !
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