Emin Bernar Pasa
Si on ne faisait pas un tel foin, depuis quelques temps, avec la littérature de Proust, je n’en dirais assurément pas autant de mal. Du point de vue de l’histoire littéraire, c’est très intéressant et si cela n’existait pas, on serait évidemment bien moins riche. En gros, ce qui me gêne, c’est qu’on veuille en faire un classique, et c’est aussi ce que vous faites lorsque vous écrivez que nous serions « tous proustiens ». C’est que je ne vois pas grand chose, dans cette oeuvre, qui soit de l’ordre de l’universel. Nous pouvons tous dire, comme Flaubert lui-même : Madame Bovary, c’est moi. Mais je ne me retrouve absolument pas dans le narrateur de Proust. C’est une oeuvre qui m’est une sorte d’appartement étranger où je ne serais jamais entré et que je découvrirais en regardant à travers un trou de serrure. D’où le fait qu’après une heure, en général, je ferme le bouquin, la position étant trop inconfortable.
La Recherche, c’est l’oeuvre d’un pervers, et le jour où j’ai pu voir en quoi pouvaient consister ses plaisirs particuliers en lisant la biographie de George Painter, j’ai cru comprendre aussi ce qui avait toujours fait ma réticence. Je dois avouer que j’entre assez mal dans la sensibilité particulière d’un type qui trouve du plaisir, par exemple, à transpercer des rats vivants avec une épingle à chapeau. Spinoza s’amusant (selon un contemporain) à regarder des araignées bouffer des mouches, c’est assez peu digne d’un philosophe, mais le coup des épingles à chapeau, je peux difficilement le digérer !