« En creux, sous-jacent à cette curiosité irresponsable, le sentiment diffus chez le voy(ag)eur que la diversité du monde est aujourd’hui menacée et qu’il importe de se dépêcher avant que disparaissent les « authentiques » du monde, pour aller les voir – ce qui, peu ou prou, le rapproche du touriste de safari ou des visiteurs des zoos humains d’il y a un peu moins d’un siècle. Ce faisant, il ne se rend pas compte, que ce désir même de voir, que sa présence même, sont des facteurs accélérants de sa disparition. Mais après tout, le voy(ag)eur ne voit pas plus loin que le bout de son nez et de son portefeuille : il a payé, c’est bien le fin mot ; pour peu qu’il soit moral ou prétendument « responsable », il se satisfera d’avoir, par son argent, contribué à aider une famille, un village, une communauté… Quelle naïveté ! Et puis… tout cela pourquoi ? Pour punaiser un spécimen de papillon en voie de disparition ? »
« Voy(ag)eurs à la recherche de l’authentique perdu »
« Le tourisme reste largement un impensé politique. La droite en fait une activité comme une autre. L’attitude des gauches est beaucoup plus contradictoire. Elles revendiquent en effet historiquement le droit aux loisirs, aux congés payés ; elle a longtemps annoncé la civilisation des loisirs. Elle est par ailleurs encline à l’ouverture, elle savoure l’altérité et se méfie anthropologiquement de tout terroir. L’enracinement est vécu traditionnellement comme potentiellement dangereux car porteur de xénophobie. Elle a longtemps dit que la classe ouvrière n’avait pas de patrie, elle a longtemps rêvé de nomadisme, préférant la libre circulation des hommes à celle des marchandises et des capitaux. La gauche ne s’aime pas davantage en donneuse de leçon, en dames patronnesse faisant la morale au bon petit peuple. Rien ne lui est plus odieux que de camper dans une posture qui conduirait à réserver le tourisme à une petite minorité. La gauche n’est pas aristocratique, elle aime la foule, le nombre. Elle n’est donc pas spontanément du côté de la prise de conscience des problèmes liés au tourisme de masse ; elle peut avoir tendance à refouler ses conséquences écologiques ».
Interview de Paul Ariès : « Le consommateur de voyages est un consommateur de clichés »