« Car entre célébrer quotidiennement la gloire
poutinienne ou les camps de redressement pour y subir une rééducation musclée,
le choix sera souvent celui la pensée unique. »
Votre propos ne correspond pas tout à fait à la réalité de
la Russie d’aujourd’hui. Sur la politique étrangère, les grands médias russes
sont évidemment parfaitement alignés sur la ligne du pouvoir. Tout comme nos
télés soit dit en passant, et comme Le Monde, Le Figaro et Libération. Une télé
russe, Dojd, est dans l’opposition à Poutine, mais elle subit de grosses
pressions qui menacent son existence (pressions financières et administratives,
pas « camp de redressement »).
La grande presse écrite est pour l’essentiel tout aussi
alignée sur le pouvoir. Mais il y a des exceptions. On peut citer à ce titre la
« Nezavissimoïa Gazeta », journal assez populaire dont le directeur
de rédaction, Constantin Remtchoukov, est clairement un opposant à Poutine,
tendance pro-occidentale. Il développe à longueur d’articles tous les
inconvénients d’une confrontation avec l’Occident, telle que provoquée par l’annexion
de la Crimée. Ce journaliste est très connu, à telle enseigne que lors de la
dernière conférence de presse de Poutine, il a eu l’occasion de lui poser trois
questions précédées d’un long développement de ses positions. Poutine l’a
écouté attentivement, mais n’a répondu qu’à une seule de ses trois questions. On
est loin des « camps de redressement ». Je ne sais pas si nous avons
en France l’équivalent, c.a.d. un grand journal national s’opposant à la politique
étrangère de la France.
Il ya en effet en Russie, principalement à Moscou, une
classe dite « créative » (on pourrait traduire par Bobo) qui s’oppose
à Poutine. C’est elle qui a défilé lors des manifestations de Moscou. J’imagine
que ces gens lisent entre autres la « Nezavissimoïa Gazeta ». Il y a
cependant en ce moment, du fait de la crise ukrainienne, un clivage sérieux
entre ceux qui sont pour l’annexion de la Crimée, la majorité, et ceux qui y
sont opposés, avec la tentation pour les premiers d’assimiler les seconds à des
« traitres ». Une tension qui pourrait bien avoir des effets négatifs
sur la liberté d’expression, comme souvent en période de crise sérieuse.