Un petit régal avant le week-end :
Les roquets aussi savent mordre
Par Jean-Pierre RIOUX
A la vieille garde du PS que le candidat Bayrou horrifie, rappelons des alliances centristes, barristes, etc., qui ont bien servi le parti.
Au PS et chez ses hérauts, ce n’est qu’un cri : le centre étant à droite, le roquet Bayrou doit rentrer à sa niche. Et les électeurs potentiels du très petit Béarnais ne seront jamais que des inconséquents adeptes du « vote de confort », des hérétiques à exorciser vite fait bien fait, des vieux vérolés par l’éternelle « troisième force », des vacanciers très beaufs sirotant leur p’tit rosé qui « va avec tout » (le cher Jacques Julliard, Libération du 26 février) et même, carrément, des « benêts » qui « se mettent les doigts dans le nez » (l’inusable Jack Lang). Bref, la cinquième colonne. Si habilement gourmandés, les comparses du roquet vont, c’est clair, eux aussi retrouver leur niche, et de préférence celle du « Ça m’suffit » de la rue de Solférino.
Il faudrait toutefois rappeler un peu d’histoire à nos gardes-barrières de la vieille maison, si fringants et récents zélateurs de la Mélusine du Poitou. Et, rassurons-nous, toujours aussi hantés par le « vote utile » c’est-à-dire par défaut qui les comble d’aise depuis si longtemps. En 1988, amorçant déjà leur débandade idéologique, morale et politique, les socialistes ne bronchaient pas tant quand Michel Rocard, l’éternel social-traître il est vrai, prenait le renfort de trois centristes et de quatre barristes dans son gouvernement. En 1965, François Mitterrand ne fut pas trop mécontent d’additionner les voix de Jean Lecanuet aux siennes pour mettre de Gaulle en ballottage. En 1962, des centristes faisaient front contre de Gaulle, mais, en 1958, Guy Mollet, grand stratège et fier gardien du Temple, n’avait pourtant pas craint de devenir ministre dudit Général. En 1954, aucun socialiste n’était entré au gouvernement de Mendès France mais, en 1947 et 1948, Blum et les siens ne dédaignaient pas les secours du centre et des modérés pour combattre la subversion communiste et contenir l’avancée gaulliste. Après la Libération, SFIO et MRP ont longtemps été cul et chemise, avec ou sans de Gaulle pour leur donner de l’épine dorsale. Etc. On pourrait plonger plus loin encore dans l’histoire de nos cinq Républiques et y retrouver, comme c’est étrange, un centre qui sauvegardait toujours, petitement peut-être mais crânement, sa raison d’être dans le concert politique et les majorités démocratiques, penchait à droite à proportion aussi de la condescendance et du mépris que la gauche socialiste lui avait surabondamment signifiés. Et qui, surtout, n’a jamais manqué de détermination quand il fallut reconstruire, réformer, innover et unir.
En fait, pressés par l’urgence, nos bons apôtres font du fla-fla et croient réussir le coup du mépris en nous sermonnant comme des gosses. L’ennui, c’est que trois Françaises et Français sur quatre, disent des sondages (peu commentés, il va de soi), en ont soupé d’entendre leurs certitudes claironnées, de tourner en rond à la longe, de faire du pas cadencé sans savoir où ils vont. Et ils soupçonnent que, le 7 mai prochain, ils risquent d’assister, comme en 1981, en 1983, en 1989, en 1993, en 1995, en 2002, à la victoire de l’un par défaut de l’autre, au même partage monotone des dépouilles et des mensonges, au passage du mistigri qui ne règle rien et aggrave tout. Mieux : à 80 %, ils accepteraient toute solution d’union nationale, toute action solidaire, toute proposition d’intérêt vraiment général. Pour s’éviter une nouvelle gueule de bois. Pour résister aux tentations populistes toujours plus fortes et aux menaces à l’intérieur comme à l’extérieur. Pour défendre et relever, sans désemparer car il y a grande urgence, ce pays en danger. Bref, beaucoup sont prêts à se serrer autour du roquet qui a montré les dents en disant son fait à Chirac et en s’éloignant d’une UMP caporalisée, puis, en 2006, en refusant de faire confiance à son gouvernement.
Les « benêts » sont peut-être racolés par le centrisme « faux nez » et « mystificateur », comme dit une gauche avant-hier « unie », hier « plurielle », aujourd’hui « participative » tendance psychorigide mais toujours revancharde et, naturellement, pas un brin mystificatrice, elle ; une gauche qui n’a rien appris mais beaucoup oublié et n’a plus qu’un but, à défaut d’avenir : gagner à tout prix et à tout hasard, en éliminant l’adversaire. Mais les « benêts » ont une autre idée de la démocratie, celle qui défend une République morale et rassembleuse, celle de Péguy : serons-nous donc toujours « ce peuple inconcerté » ? Ils ne jouent plus à la guéguerre mais n’admettent pas d’être traités de déserteurs ou d’illégaux. Et il faut savoir aussi qu’on a souvent vu dans l’histoire des francs-tireurs faire tourner en bourrique de trop vieilles armées. Et même des roquets mordre assez pour arracher le morceau.
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