• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de Christian Labrune

sur Un excellent texte du CFCM


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Christian Labrune Christian Labrune 8 juin 2014 14:14

Jean Corseul

Merci pour vos éclaircissements. Je crains cependant que vous ne m’ayez pas lu fort attentivement. Les textes du Coran que vous citez, je les ai bien souvent commentés ici dans de multiples interventions, et pour dire aussi qu’ils étaient abominables. Le jugement que vous portez sur ces points de doctrine, je ne risque donc pas de le contredire. A la fin de ce texte, je prévoyais ce que vous pourriez répondre, à savoir que l’islam sait recourir à la takiya et faire les concessions qu’il faut pour se maintenir à flot dans les tempêtes, afin de mieux reprendre l’offensive lorsque le climat sera redevenu plus favorable. Vous allez donc un peu vite en besogne lorsque vous voulez me faire passer pour l’idiot utile de l’islam.

Vous ne voudriez pas qu’on massacre les musulmans. Merci pour eux ! Vous voudriez seulement qu’ils se convertissent au christianisme. Est-ce bien raisonnable ? Est-ce bien réaliste ? Dans les siècles passés, le christianisme a eu ses guerres de religion ; elles ont été violentes, ont créé un climat peut-être plus atroce que celui dont ont pu jouir les habitants de Bagdad sous le califat des Abbassides à la fin du premier millénaire. Le catholicisme a peu varié dans sa doctrine, mais les chrétiens ont pris peu à peu leurs distances par rapport à des impositions existentielles qu’ils ignorent aujourd’hui à peu près complètement dans leur très grande majorité et dont ils ne tiennent plus compte pour organiser leur vie. C’est - j’y reviens – ce que Marcel Gauchet appelle la « sortie du religieux ». Restent de vagues traditions pour les mariages et les enterrements ; c’est à peu près tout. Mettez la main sur un chrétien à la sortie d’une messe et interrogez-le sur le symbole de Nicée, sur la transsubstantiation, le dogme de l’Immaculée conception ou la divinité de Jésus, vous aurez des surprises et ce sera comme si vous parliez chinois à un Berrichon.

Il y a trente ans, je n’avais pas lu le Coran et il n’y avait aucune raison, en France, de s’intéresser à l’islam. C’est seulement dans les dernières années du siècle que les élèves de mon lycée de banlieue ont commencé à me parler d’un ramadan qui les faisait beaucoup souffrir mais dont ils ne songeaient pas même à s’affranchir malgré mes cours sur la philosophie des lumières et les barres chocolatées que, diaboliquement, je sortais de mon cartable. Du djihad, on n’avait encore jamais entendu parler dans les journaux.

L’islam, comme le christianisme, a changé. Dans un sens exécrable, sans doute, et tout à fait inattendu, mais ce n’était pas une fatalité. Il faudrait en tout cas être soi-même converti à l’islam des Frères ou des salafs pour croire qu’une pareille évolution puisse être irréversible. J’ai sous la main le bouquin de Gilles Kepel intitulé « Jihad », que je n’ai tout juste que feuilleté. Le sous-titre en est « expansion et déclin de l’islamisme ». L’auteur écrit : « Tout indique aujourd’hui que l’heure du postislamisme a donné, et que les sociétés musulmanes vont entrer de plain-pied dans la modernité, selon des modes de fusion inédits avec le monde occidental ». Il a écrit ça au début de ce siècle, avant les printemps arabes et il les prophétise. L’effondrement de l’islamisme, certes, on ne le voit pas encore bien clairement, mais qu’est-ce que dix ans dans l’histoire du monde ?

Je reviens à la « Convention citoyenne » du CFCM, que vous devriez lire et dont les propositions sont tout à fait tolérables et acceptables dans les limites que j’ai dites. C’est le texte qu’on aurait attendu après les crimes de Mehra mais les responsables du culte musulman, à l’époque, avaient cru pouvoir s’en tirer avec de vagues déclarations pleines de bons sentiments face aux caméras. Une manifestation des musulmans contre ces crimes avait été prévue ; j’y étais allé, pour voir, mais il n’y avait personne ; c’était reporté à plus tard, et à la date prévue par le report, il y avait eu trop peu de monde à la Bastille pour organiser un défilé : la dispersion avait été immédiate. Par la suite on a pu voir hélas, dans les banlieues surgir des tags à la gloire du tueur. La première fois, il était peut-être encore possible de croire à une sorte d’accident de l’histoire. Ce qui vient de se répéter à Bruxelles et ce qui peut se lire sur les réseaux sociaux et même sur AgoraVox peut faire craindre le pire. La réaction du CFCM vient certes un peu tard, mais dès lors qu’elle est là, force est de constater qu’elle va tout à fait dans le bon sens.

Il n’y a pas de clergé dans l’islam ; Dalil Boubakeur n’est pas un pape et les rédacteurs de ce texte ne sont pas ses évêques. Autrement dit, rien n’oblige les musulmans français à se soumettre à une autorité centrale, et l’UOIF à la botte des Frères musulmans et des prédicateurs fous d’Al Jazeera aura bien du mal à avaler les termes de cette « Convention citoyenne ». Mais cela aura le mérite d’imposer et de faire apparaître clairement des discussion au sein de la communauté, et probablement un clivage des plus nécessaires. L’un des principaux obstacles à l’entrée de l’islam dans le processus démocratique, explique très bien Philippe d’Iribarne*, c’est l’obsession de l’unanimité : l’islam devrait être (ce qu’il n’est évidemment pas du tout !) un et indivisible, et c’est aussi ce qui a pu expliquer partiellement le silence d’une instance comme le CFCM : le silence qui permet de masquer les divisions. Et c’est ce qui explique la marginalisation de tous les intellectuels musulmans partisans d’un « islam des lumières », pour reprendre l’expression de Malek Chebel.

Je ne suis pas un progressiste enragé, mais je suis bien obligé quand même de constater que les lumières progressent et que les religions du Livre, partout où l’état de l’économie permet une amélioration du niveau de vie et le développement de la rationalité scientifique, l’obscurantisme recule. C’est dès le XVIIe siècle, avec les travaux de Richard Simon, de Spinoza, de Bayle et de quelques autres, que commence à s’imposer la critique des religions « révélées ». C’est là que commence l’agonie du christianisme. L’agonie de l’islam n’en est certes qu’à ses débuts, mais les horreurs du jihadisme sont déjà comme le premier symptôme d’une pathologie létale.

*Philippe d’Iribarne - L’islam devant la démocratie – 2014, nrf


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès