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Commentaire de Christian Labrune

sur Un excellent texte du CFCM


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Christian Labrune Christian Labrune 9 juin 2014 10:39

Jean,

Je n’ai jamais été marxiste, pas même hégélien, et je n’ai jamais CRU que l’histoire pouvait avoir un sens et que, l’ayant une fois déterminé par une science quelconque (je pense au matérialisme dialectique) on pourrait orienter sur les bons rails le train de l’histoire pour accélérer sa marche vers une sorte de paradis final. Rien ne m’est plus étranger par ailleurs que le matérialisme. Après la phénoménologie husserlienne et les travaux en physique de l’école de Copenhague, la notion même de « matière » devient si problématique que la prudence impose de faire l’économie d’un terme des plus fumeux.

Vous me parlez de l’existence de Dieu, mais au point où nous en sommes dans la réflexion sur l’histoire des concepts, ce terme est tout aussi inconsistant que celui que je viens de récuser. Le Dieu des religions du Livre ne diffère en rien de ceux des mythologies antiques auxquels les anciens ne croyaient qu’à moitié. « Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? » se demande Paul Veyne. J’ai connu des athées chargés d’enseigner l’histoire qui, abusés par le « sens de l’histoire » pensaient de bonne foi que le monothéisme, parce qu’il était un peu plus tardif - du moins dans sa réussite - marquait un progrès par rapport aux religions antiques, mais on pourrait tout aussi bien penser le contraire, et Voltaire s’accorde très bien avec un Cicéron qui pensait qu’il fallait, sans y croire, respecter les dieux de la cité qui donnaient un sens à la vie des citoyens ordinaires étrangers aux plus hautes spéculations de la philosophie. Les anciens se sont merveilleusement étripés eux aussi, mais jamais sur des questions de religion.

Le dieu anthropomorphe et irascible de l’ancien testament, véritable tête de lard que le gnostique Marcion n’hésite pas, l’opposant au dieu des Evangiles, à assimiler à un dieu du mal, n’est guère différent de Zeus et de ses petits copains. Le culte chrétien de la Sainte Vierge dérive de celui d’Isis et les pratiques religieuses des premiers chrétiens ne sont pas si différentes de celles des cultes à mystères tel, à Rome, celui de Mithra. Si la plupart des chrétiens d’aujourd’hui savaient que Jésus-Christ ne devient le fils de Dieu « engendré et non créé », « consubstantiel au Père », pour reprendre les termes du crédo, qu’à la fin du quatrième siècle, par un bricolage d’une métaphysique de l’UN héritée de Plotin et popularisée par Porphyre, ennemi des premiers chrétiens, et surtout par la grâce d’un empereur romain des plus sinistres, ça les défriserait probablement. Et si vous les interrogiez, vous vous rendriez très vite compte de surcroît que la plupart, sans même le savoir, sont enfoncés jusqu’au cou dans l’hérésie d’Arius.

Si vous me disiez, confronté aux questions que tout existant se pose, que l’univers a peut-être un sens, je pourrais à la rigueur l’admettre, mais il serait encore à découvrir, ce sens. Vous me diriez qu’il y a peut-être quelque chose de transcendant au monde. Pourquoi pas, mais à quoi bon s’étriper sur ces sortes de questions, lesquelles sont pour l’instant, et peut-être pour l’éternité, sans réponse. Etant donné l’état des connaissances sur la question, la distance entre ce « quelque chose » que vous appelez Dieu et rien du tout est des plus minces.

Je suis bien d’accord avec vous pour dire qu’il n’y a guère de progrès en philosophie. La métaphysique, longtemps méprisée à cause de l’influence du positivisme, est en train de revenir à l’honneur et c’est une bonne chose, mais à la question de savoir pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, je doute qu’on trouve demain la réponse. En attendant, on peut évidemment bavarder, et le pari pascalien que vous évoquez ne peut évidemment pas prétendre à un autre statut que celui du bavardage : à Napoléon qui lui demande quelle est la place de Dieu dans ses travaux, Laplace répond : « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ». Le pari pascalien vaut à l’intérieur d’un système de représentation mythologique du monde dans lequel baigne tout le XVIIe siècle, il ne vaut plus rien dès lors qu’on fait abstraction du climat historique.

Force est cependant de constater que les connaissances sur la nature des choses qui nous entourent et les lois qui semblent les gouverner ne cessent de s’accroître et nous permettent d’avoir une compréhension de moins en moins naïve de la complexité du monde. Les prophètes des différentes religions, s’ils s’étaient un peu souciés du bonheur des hommes, au lieu de les induire à se taper sur la gueule, auraient pu leur refiler un certain nombre de trucs pour améliorer leur ordinaire. Les mettre sur la voie, par exemple, des principes de l’électricité, des  lois de la gravitation ou même plus simplement les informer qu’entre la côte ouest de l’Europe et Cipango il y avait un autre très grand continent à instruire au plus vite des bienfaits de la révélation. Apparemment, le Dieu tout puissant qui les inspirait ignorait encore toutes ces choses-là - qu’il avait pourtant créées ! C’est bien fâcheux.



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