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Commentaire de soi même

sur 1989 l'Année où l'Occident a tout raté


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soi même 12 juillet 2014 18:00

M : Pensez-vous que cette tentative d’unification des deux organisations était vouée à l’échec ?

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J. R. : Je le crois. Nos modes de socialisation, nos visions de la politique et nos mentalités étaient trop différents. De plus, les questions politiques de l’Est étaient très spécifiques : toute l’économie s’effondrait, des problèmes sociaux massifs explosaient… À l’Ouest, on se préoccupait de questions écologiques qui étaient considérées à l’Est comme un luxe. Par surcroît, le conflit était très vif entre les exigences écologiques et les tentatives pour sauver un minimum d’emplois. Pour tout le monde à l’Est, la question du chômage était la priorité des priorités. Il était difficile de le faire comprendre aux Grünen, et d’arriver à ce qu’ils le prennent en compte. Du coup, les gens votaient pour ceux qui en parlaient. Les différences dans les modes de socialisation ont également beaucoup joué. On y pense rarement, mais cela a représenté un facteur crucial. Les Grünen sont un parti dont toute l’histoire a eu lieu dans le cadre de la République fédérale. Le SPD a des racines dans toute l’Allemagne, la CDU aussi, mais pas les Verts, qui sont un pur produit de l’Ouest. Aussi le choc des mentalités a-t-il été particulièrement vif. Nous avions beaucoup de mal à discuter ensemble. C’était une question d’objectifs politiques, mais aussi de style de vie, de perception du monde. Leur expérience fondatrice était 1968 à Paris, Berkeley ou Harvard Square. Pour nous, 1968, c’était Prague. La différence est énorme.

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M : Dix ans plus tard, quel bilan tirez-vous de la réunification ? Vous avez plusieurs fois écrit que l’Allemagne de l’Est était condamnée à être le Mezzogiorno de la nouvelle Allemagne. Le pensez-vous toujours ?

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J. R. : Dans une certaine mesure. Certes, comparés au Mezzogiorno, les Länder de l’Est sont beaucoup plus subventionnés. Pourtant, malgré les différences, la comparaison est pertinente en ce que ces subventions n’ont pas été utilisées de telle sorte qu’elles ne soient plus nécessaires. Le mot magique de ce point de vue est le « Selbsttragender Aufschwung », la croissance auto-entretenue. Or, celle-ci n’existe pas. Les conséquences de cet échec sont massifs. Par exemple en termes d’émigration intérieure : les plus jeunes, les plus dynamiques, les plus flexibles continuent à quitter massivement le territoire de l’ex-RDA pour Cologne, Munich ou l’étranger, comme dans le Sud de l’Italie. Le taux de chômage reste énorme et diminue à peine, alors que l’Allemagne a retrouvé des taux de croissance importants. La force des sentiments xénophobes est un indice de cette situation de domination et d’exclusion. Les gens sont frustrés, pensent que la mondialisation n’est pas pour eux, qu’ils en sont les perdants et en rendent responsables les étrangers. Malheureusement, tout cela est très répandu et constitue un terreau extrêmement favorable pour des formes désastreuses de nationalisme.

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M : Comment voyez-vous le rôle du PDS dans cette situation ?

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J. R. : C’est une question intéressante. D’un côté, le PDS est le syndicat des perdants, le refuge de l’ancienne élite. Cela constitue sa base de masse. D’un autre côté, le parti se donne une image gauchiste et écologique à la manière occidentale. Son équipe dirigeante a adopté de nombreux slogans de l’Ouest, qui vont à l’encontre des sentiments de la majorité des électeurs et des adhérents. Les leaders modernisateurs comme André Brie en sont conscients et le disent. Mais imaginons que le PDS ait été interdit en quatre-vingt-dix – cela était tout à fait possible, et était notamment demandé par des membres du Neues Forum. Je crois que la plupart de ses électeurs voteraient aujourd’hui à l’extrême-droite. Le PDS canalise nombre de frustrations politiques et sociales partagées par une grande part de la population sous une forme politique constructive. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le PDS a survécu, à l’inverse des Verts ou du mouvement des citoyens.

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M : Croyez-vous que le PDS contribue ainsi à maintenir une « identité RDA » ?

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J. R. : D’une certaine façon, oui. Personne ne dit : « nous voulons revenir au temps de Honecker ». Mais les militants du PDS essaient de maintenir une tradition pour ceux qui ont soutenu le régime, ou qui ont été socialisés dans le système de la RDA et qui aujourd’hui sont frustrés d’être mis à l’écart. Ils donnent corps à une nostalgie de la RDA, plutôt qu’à l’envie de restaurer sa réalité politique.

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M : Est-ce qu’une autre réunification était possible ? En 1989, le Neues Forum défendait l’idée d’une nouvelle constitution, d’une double transformation à la fois de la République fédérale et de la RDA…

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J. R. : Oui, c’est ce que nous pensions. C’était bien sûr illusoire. Il n’y avait aucun moyen politique pour concrétiser cette autre unification, tout simplement parce que la population de l’Est n’en voulait pas. Kohl et les partis de l’Ouest ont évidemment aussi joué un rôle. Pour faire l’unification autrement, il aurait par exemple fallu que le SPD soit très différent. La CDU avait une base sociale naturelle dans l’ex-RDA : je veux parler de ces nouveaux professionnels, avocats, médecins, spécialistes divers, tous ceux qui sont devenus les nouveaux entrepreneurs après 1990. Le SPD aurait dû trouver les moyens de rallier ceux qui étaient en train de perdre, ou du moins qui n’étaient pas les gagnants de la transformation. Il a fait exactement le contraire. Le SPD de l’Est a été créé par des gens issus des Églises protestantes, qui étaient violemment opposés à tout ce qui pouvait avoir de près ou de loin des rapports avec la RDA ou la Russie. Par exemple, ils n’ont jamais accepté l’adhésion des anciens membres du SED, le parti unique est-allemand : ils avaient trop peur que cela leur coûte des voix à l’Ouest. En même temps, ils croyaient que parce qu’ils parlaient un peu du chômage et de l’État-social, les voix des perdants de l’Est leur étaient acquises. C’était un calcul erroné. Ils n’ont pas réussi à percer du côté de la nouvelle élite et ils ont perdu les autres, assurant ainsi la domination du PDS sur les classes populaires.

http://www.cairn.info/revue-mouvements-2001-2-page-127.htm




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