« En libérant l’Esclave de la Nature, le travail le
libère aussi de lui-même, de sa nature d’Esclave : il le libère du Maître. Dans
le Monde naturel, donné, brut, l’Esclave est esclave du Maître. Dans le Monde
technique, transformé par son travail, il règne – ou, du moins, régnera un jour
– en Maître absolu. Et cette Maîtrise qui naît du travail, de la transformation
progressive du Monde donné et de l’homme donné dans ce Monde, sera tout autre
chose que la Maîtrise immédiate du Maître. L’avenir et l’Histoire appartiennent
donc non pas au Maître guerrier, qui ou bien meurt ou bien se maintient
indéfiniment dans l’identité avec soi-même, mais à l’Esclave travailleur.
Celui-ci, en transformant le Monde donné par son travail, transcende le donné
et ce qui est déterminé en lui-même par ce donné ; il se dépasse donc, en
dépassant aussi le Maître qui est lié au donné qu’il laisse – ne travaillant
pas – intact. Si l’angoisse de la mort incarnée pour l’Esclave dans la personne
du Maître guerrier est la condition sine qua non du progrès historique, c’est
uniquement le travail de l’Esclave qui le réalise et le parfait ».
Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel