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Commentaire de Christian Labrune

sur Lettre ouverte à Madame la Ministre de l'Education nationale


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Christian Labrune Christian Labrune 9 septembre 2014 09:51

@Robin Guilloux

A cette page :
http://www.najat-vallaud-belkacem.com/2009/01/18/ramasser-le-rameau-d-olivier/comment-page-1/
la nouvelle ministre de l’instruction publique livre, sur le site même de son ministère, sa vision pour le moins orientée et fort naïve du conflit Hamas/Israël. C’est tout à la fin, dans les derniers paragraphes.

J’ai enseigné douze ans les lettres -si on peut dire !- dans un lycée de la banlieue. A l’époque de la seconde intifada, quelquefois, la porte de ma classe s’ouvrait brutalement ; deux ou trois individus au visage dissimulé derrière un foulard et la tête couverte du Keffieh palestinien apparaissaient dans le cadre d’une porte qui se refermait aussitôt. Ce n’était pas moi qu’ils recherchaient, mais tel collègue en philo qui avait un nom juif, pour le menacer de mort. Cela s’est produit bien des fois. Un jour, les mêmes ou leurs semblables s’en sont pris à un autre collègue qui avait eu l’imprudence de représenter à une classe vraiment odieuse que leur comportement avait quelque chose de fascisant et qu’étant juif, cela lui était particulièrement insupportable. Résultat : quelques jours plus tard, une expédition d’éléments étrangers dans sa classe au milieu d’un cours. Je travaillais dans la salle des profs où je l’ai vu arriver en titubant. Les yeux lui sortaient de la tête : on l’avait aspergé de gaz lacrymogène, jeté à terre et piétiné. Double fracture du bras, hospitalisation aux urgences.
Avec Vallaud-Belkacem au ministère, et ses engagements politiques très particuliers et plutôt favorables à une démocratie de style Hamas, ces sortes de dysfonctionnements ne devraient plus pouvoir s’observer. Par précaution, je vous conseille quand même de porter le keffieh palestinien avant même que cela devienne une obligation professionnelle.

Je crains que les exigences que vous formulez dans cet article et qui, je m’empresse de le dire, me paraissent frappées au coin du bon sens, aient fort peu de chance d’être jamais entendues. Je vais me faire l’avocat du diable et essayer de vous faire entendre la doxa des penseurs actuels de l’instruction publique.

Si on veut avoir quelque chance d’adapter les élèves à la société, il importe que l’école s’ouvre sur le monde. Toute sortie « pédagogique » vaut bien une dizaine d’heures de cours. Emmener au théâtre une classe de première pour voir le « Dom Juan » de Molière, ça vaut tout de même mieux que de commenter un texte que les élèves ne comprennent pas plus que la plupart des metteurs en scène et peut-être même que beaucoup d’enseignants. L’essentiel, c’est quand même le bonheur des élèves, et le divertissement que cela leur procure. Comme le dit très bien tel personnage d’un film de Buñuel dans un contexte certes un peu différent : « moi, je suis pour qu’on s’amuse ».
Est-il encore nécessaire de savoir lire et écrire à l’époque de l’audiovisuel ? Nous avons tous eu de ces élèves à qui nous avons dit au moment de rendre les copies : je n’ai pas pu vraiment corriger votre copie, tout serait à reprendre, on ne comprend rien à ce que vous écrivez. Et que répond-il, l’élève ? Moi, je m’comprends, m’sieur !« . Dès lors, à quoi bon humilier des élèves qui se comprennent si parfaitement ?
Vous parlez d’extraire les élèves à leur »ghetto culturel« . C’est scandaleux. Quel mépris de la culture populaire. Je ne vois vraiment pas au nom de quel élitisme absurde et criminel on pourrait prétendre que l’oeuvre de Shakespeare vaudrait mieux que les écrits de Valérie Trierweiler qui suscitaient un si vif intérêt ces derniers jours. Et nos élèves préfèreront toujours n’importe quel rappeur aux élucubrations incompréhensibles d’un Mallarmé ou d’un Valéry, lesquels, par dessus le marché, n’ont rien à leur apprendre sur le monde où ils sont destinés à vivre.
Vous refusez qu’on supprime la notation, mais c’est absolument scandaleux ! Comme si vous n’aviez pas vu que c’est la notation qui crée l’inégalité. Or, cela crève les yeux. Quand vous rendez des copies corrigées, ce n’est pas du tout la même expression qu’on observe sur le visage de l’élève qui vient d’obtenir obtient 14,5/20 et sur la tronche de qui plafonne à 6/20 depuis le début de l’année. L’un est heureux, Monsieur Guilloux, il sourit, et l’autre se sent tellement HUMILIE que cela devrait vous inspirer de la pitié si toutefois vous disposiez encore d’un coeur. Mais le bonheur de vos élèves ne vous intéresse pas. Je crains même que vous ne soyez un pervers sadique. Il y a bien évidemment des différences entre les capacités intellectuelles des élèves, mais le but de l’école, c’est quand même de faire en sorte qu’ils ne puissent jamais s’en rendre compte. L’essentiel, ce n’est pas de gagner mais, comme disait Pierre de Coubertin, de »participer« , c’est-à-dire d’être là, bien au chaud, surtout l’hiver, quand il fait si froid dehors.
Vous oubliez dans votre liste d’exigences - et c’est tout à fait révélateur de votre idéologie réactionnaire - d’aborder une question tout à fait essentielle : la cantine. Vous n’en dites rien, comme si cela ne comptait pas, mais si on peut vivre des années sans ouvrir un livre, on ne survit pas plus de quelques mois sans manger. Le lieu central de l’école et le plus indispensable, c’est la cantine. C’est là qu’on apprend à manger, qu’on apprend à connaître et à respecter les interdits alimentaires de nos chères religions, qu’on apprend qu’il faut manger cinq légumes par jour, qu’il faut »consommer avec modération« les liqueurs alcoolisées, qu’il y a des protides et des glucides, qu’il faut prendre soin de sa santé, que »bio c’est con", qu’il ne faut pas devenir trop gros ni trop maigre. Le jeune Pascal , à douze ans, retrouvait tout seul les propositions d’Euclide. La belle affaire ! S’il avait pris soin un peu plus sérieusement de son alimentation, ce crétin, il aurait sans doute vécu plus vieux.


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