Voyez-vous, les simples bavardages, je dirais, égoïstes, qui réchauffent le coeur en affirmant que nous aimons notre prochain et que nous manifestons cet amour dès que nous en avons l’occasion, ces bavardages ne font pas la vie sociale. Cet amour est la plupart du temps un amour effroyablement égoïste. Bien des gens prêtent assistance à leurs semblables de manière
paternaliste, grâce au « butin », pourrait-on dire, dont ils se sont d’abord emparés, pour se procurer ainsi un objet pour leur égoïsme qui leur permettra vraiment de se réchauffer intérieurement en pensant : Tu fais ceci, tu fais cela. On n’imagine pas à quel point une grande part du prétendu amour de bienfaisance est en réalité de l’égoïsme masqué.
Il ne s’agit pas d’envisager seulement ce qui nous est le plus proche et qui, en réalité, est soumis à notre amour-propre ; non, ce qui compte, c’est de nous sentir le devoir de diriger notre regard sur la structure sociale aux multiples ramifications dans laquelle nous vivons. Pour cela, nous devons au moins créer les bases nécessaires, mais aujourd’hui très rares sont les personnes qui sont prêtes à le faire.
J’aimerais tout au moins commenter une certaine interrogation du point de vue de la pédagogie populaire : Comment pouvons-nous opposer consciemment les instincts sociaux à ceux, antisociaux, qui se développent naturellement ?
Comment pouvons-nous les cultiver de manière à ce que l’intérêt d’être humain à être humain, qui dans cette époque de l’âme de conscience s’est terriblement atrophié, naisse véritablement en nous, qu’il se développe toujours et encore, et que nous ne connaissions pas le repos lorsque par hasard il cesse ? Des abîmes séparent déjà les hommes d’aujourd’hui ! Les gens ne soupçonnent pas à quel point ils passent les uns devant les autres sans se comprendre le moins du monde. Le désir de se mettre vraiment à la portée d’autrui, de sa spécificité personnelle, est aujourd’hui complètement insignifiant. Nous avons d’une part ce cri qui réclame la socialisation, et d’autre part l’irruption toujours plus importante du pur instinct antisocial. On voit bien à quel point les hommes passent en aveugles les uns près des autres, lorsqu’ils se rassemblent au sein de divers cercles ou sociétés. Ces réunions ne sont même pas l’occasion de mieux se connaître. Les gens peuvent se côtoyer pendant des années sans
se connaître davantage qu’au premier jour de leur rencontre. Or c’est cela justement qui est important, qu’à l’avenir, je dirais, on développe le social
de façon systématique pour faire face à l’antisocial. Il existe pour cela divers moyens sur le plan intérieur, le plan de l’âme. Nous pouvons par exemple essayer de jeter plus souvent un regard rétrospectif sur notre vie
personnelle présente, sur notre incarnation actuelle, tenter d’avoir une vue d’ensemble de ce qui s’est passé dans notre vie, entre nous et tous ceux qui sont entrés dans cette vie. Si nous sommes sincères, nous nous dirons, du moins la plupart d’entre nous, que le plus souvent c’est en plaçant notre propre personne au centre de cette rétrospective que nous considérons aujourd’hui l’entrée de ces nombreuses personnes dans notre vie.