La situation actuelle est beaucoup plus grave qu’on ne le pense. On dit : les VRAIS musulmans - ceux que je fréquente au travail ou qui sont mes amis - n’ont rien à voir avec gens du Califat, qui sont, eux, des abrutis, de parfaits assassins etc.
Je pense qu’on se trompe. On appelle VRAIS musulmans ceux qui sont, comme dirait Marcel Gauchet, sortis du religieux. Ils on en général un bon niveau de culture, ils ont voyagé et ne sont pas plus musulmans que les « chrétiens » qui font baptiser leurs enfants (ça ne peut pas faire de mal), se marient ou se font enterrer à l’Eglise (qu’est-ce qu’on risque ?) parce que c’est une tradition familiale et que ça ne mange pas de pain.
On se dit : les crimes de Mehra, de Nemmouche, ceux de Daech, c’est horrible, et ça doit épouvanter les musulmans. Ceux qui sont sortis du religieux et qui ne confessent l’islam que du bout des lèvres se disent : ça n’est pas mon affaire et ils s’en lavent les mains comme Pilate. Mais pour la plupart de ceux que j’appellerai les Vrais musulmans, c’est-à-dire ceux qui sont animés par la foi du charbonnier, c’est un peu différent.
Qu’est-ce que c’est qu’un vrai catholique ? Evidemment, on n’est pas dans sa tête pour pouvoir dire ce qui s’y passe, mais enfin, aller à la messe tous les dimanches, faire des signes de croix après s’être trempé la dextre dans le bénitier, s’agenouiller quand il le faut et là où il le faut dans les chapelles, se confesser et s’approcher régulièrement de la sainte table, c’est quand même être plus catholique que ceux qui se contentent du baptême et de l’enterrement.
Pour le véritable musulman, c’est à peu près pareil : il se rend à la mosquée, mais comme les imams sont un peu surveillés et ne peuvent pas dire tout ce qu’ils pensent, le VRAI musulman dispose d’une parabole orientée Al-Jazeera où il apprend tout ce qu’un « bon » musulman doit savoir, et d’abord que rien n’est au-dessus du Jihad et qu’il faut vouloir, selon l’enseignement d’un Youssef al-Qaradâwî relayé dans les autres media par les Ramadan de service, exécuter à la lettre tout ce qu’exige l’islam : exterminer les Juifs, résister à l’abominable corruption occidentale, observer rigoureusement les rites les plus délirants : prières, halal, voile, niqab, etc.
On s’est étonné qu’il n’y ait eu aucune réaction après les crimes de Mehra, qu’il y en ait eu si peu après les dernières décapitations. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas un malaise du VRAI musulman, il y en a bien un, mais il n’est pas du tout celui qu’éprouvent les intellectuels partisans au CFCM, comme DalilBoubakeur et quelques autres, d’un « islam des lumières » qui serait en fait une « sortie du religieux », pour parler comme Marcel Gauchet, enfin compatible avec la civilisation moderne. Le malaise du musulman moyen made in al-jazeera, ce serait plutôt de se dire qu’il n’aurait pas vraiment le courage de passer à l’action. Egorger son voisin selon la méthode prescrite par le Califat, c’est facile à dire, mais plus difficile à faire. On pense qu’il est horrifié par les décapitations, mais c’est une erreur : le Coran les prescrit en maintes occasions, elles sont donc, si j’ose dire, parfaitement « halal » ; égorger un mouton ou un chien de mécréant, quelle différence ? Je crains donc que le malaise du « bon » musulman qui se veut entièrement « soumis » à son islam (qui est soumission) ne vienne de ce qu’il se découvre, en fait, un gros dégonflé qui n’aurait pas vraiment le courage de faire ce qu’on lui prescrit, malgré le mode d’emploi video qu’il peut trouver partout à sa disposition sur le Net et dans les media. Face à Daech, le VRAI musulman se dit qu’il n’est pas à la hauteur requise, et tremble pour son salut. C’est là son seul malaise. Beaucoup de jeunes sans cervelle ne veulent pas, eux, être des « dégonflés ». C’est ceux-là qu’on retrouve autour de Kobané.
Il faut donc cesser de se voiler la face et de se forcer à prendre des vessies pour des lanternes. Le VRAI musulman n’est pas du tout celui qu’on pense, et l’islam n’a jamais été une religion d’amour et de paix. Les très rares intellectuels qu’on voit horrifiés par la tournure que prennent les choses au Moyen-Orient ne sont plus vraiment des musulmans.
Evidemment, il est très probable que ce qui se voit en Irak aura à peu près le même résultat que la Saint-Barthélémy de 1572 : ça en dégoûtera beaucoup, et même parmi les moins instruits, de la religion et de ses fanatismes, et l’islam cessera d’être pris au sérieux. Mais on n’en est pas encore là, malheureusement. Combien d’atroces boucheries faudra-t-il encore avant une réelle prise de conscience des masses décérébrées par les propagandes ? Après le fanatisme sunnite, l’épisode qui suivra, ce sera celui du fanatisme chiite nucléarisé. De beaux jours en perspective.