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Commentaire de Sylvain Etiret

sur Euthanasie et présidentielle


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Sylvain Etiret 4 mars 2007 01:49

Que de passion ! Je ne m’attendais pas à autant d’enthousiasme suite à mon questionnement.

Plus que de trancher le débat sur l’euthanasie, mon sujet était de souligner qu’il s’agit d’un choix de société plus que d’un choix soignant, et qu’il y a quelque difficulté à exiger l’application de ce qui serait un droit à mourir par un tiers, et encore plus par ceux-là même à qui on reconnait la mission d’accompagner la vie. Dès lors si la société fait le choix de reconnaitre ce droit, il me semble indispensable qu’elle prenne ses responsabilités et ne s’en décharge pas sur des soignants en les mettant dans une situation dénaturante pour eux.

Celà dit, le débat a manifestement évolué ici vers une réflexion autour de la légitimité de l’euthanasie, ce qui finalement pouvait se prévoir. Au delà des emportements inévitables sur un tel sujet, beaucoup de choses ont été dites qui montrent la difficulté de penser notre propre fin. Elles reprennent la plupart des arguments classiques du débat et tournent pour l’essentiel autour de la notion de dignité du malade, de l’inutilité de la souffrance du patient ou de ses proches, de ce qu’on imagine de notre capacité à agir face à un évènement.

Pour rester court, on est là d’une part dans une ambiguité et d’autre part dans une illusion.

L’ambiguité réside dans la notion de souffrance qui est largement assimilée à la douleur alors qu’elle recouvre, comme la notion de dignité, quelque chose de bien plus vaste et de bien plus ambivalent qu’il n’y parait. Elle nait bien davantage de la perte de sens du vécu que de toute sensation physique.

L’illusion est celle de notre capacité de maitrise, à la fois dans la décision et dans l’action. Quelque chose comme une illusion de toute-puissance dans notre volonté d’autonomie.

La difficulté de l’euthanasie tient donc dans ce qu’elle semble être une solution en forme de fuite en avant à une question essentiellement « spirituelle » (au sens d’une quête de sens, du sens qu’on donne à notre vécu) : Pourquoi ? Pourquoi moi, pourquoi tout ça, à quoi ça sert de vivre ça, pourquoi maintenant ... ?

Et la difficulté est d’autant plus complexe que ce questionnement est profondément individuel, qu’il est impossible à autrui de me donner un sens qui n’appartient qu’à moi. C’est tout le sens des Soins Palliatifs de créer les conditions pour que cette quête de sens soit possible pour l’individu qui s’apprête à mourir, pour l’aider à se frayer son propre chemin. Là se situe l’empathie, la prise en charge des symptomes, du confort, la reconnaissance des désirs et des possibilités de plaisir comme satisfaction de désir, la réintégration du réseau familial ou social, l’accompagnement au plein sens du terme. Pour, comme le dit un aphorisme des Soins Palliatifs, donner de la vie aux jours plus que des jours à la vie. C’est dans la primauté du rétablissement du confort, dans la reconnaissance de son caractère essentiel avant que « la vie » puisse remplir à nouveau les jours du patient, dans son impératif quitte à prendre le risque de hater la fin, loin de tout « acharnement » que se situe un des piliers de la prise en charge.

Cependant, la question peut être ailleurs, le sens peut rester introuvable au patient ou à ses proches, la souffrance demeurer parce qu’elle est d’une nature rebelle à toute réassurance. La réalité peut revenir à la charge et heurter le désir de toute-puissance et d’autonomie si c’est uniquement là que réside le sens que le patient ou ses proches confèrent à la vie : la mort va venir, c’est un fait, et le seul moyen qui reste pour ne plus la subir serait de la devancer.

Que dire si ce n’est reconnaitre d’une part la source de l’impasse tenant dans une illusion construite tout au long d’une vie et d’autre part la réalité de la souffrance qui l’accompagne ? Mais la question devient alors : est-ce le rôle de la médecine de traiter une souffrance existentielle de cet ordre ? Sa « toute-puissance » à elle ne va probablement pas jusque là.

J’ai le souvenir d’un prêtre qui face à la mort, me disait, paniqué : « J’ai peur. Mais si j’ai peur, c’est que je n’ai pas confiance en Dieu. Et si je n’ai pas confiance, c’est que ma foi n’est pas totale. Mais alors, qu’à été ma vie, consacrée à ce que je croyais être une foi aussi solide ? » Que dire, que faire, face à cette intolérable souffrance ? La mort elle-même en serait-elle une réelle délivrance ? Que dire sinon que je reste là, présent, à ses côtés, acceptant d’entendre et de partager autant que possible cette souffrance ? Il est ainsi des souffrances que même l’euthanasie, dans son illusion de toute puissance, ne tarirait pas.

Le reste n’est alors plus question que de modalités et d’entente sociale sur les limites qu’on donne aux choses. Mais, pour mettre les choses à l’extrême, que répondre à cette angoisse de finitude, à cette absence de sens vécue comme une souffrance intolérable en l’absence de toute pathologie organique ? Que répondre au sentiment de déchéance de sa dignité pour toute autre raison que l’état de santé ? Que répondre à la souffrance du proche ressentant une perte de dignité d’un individu incapable de l’exprimer voire même de la percevoir ? Autant de dérives, qui ne sont pas que théoriques au vu de l’évolution de la pratique dans les pays qui ont légalisé l’euthanasie, qui rendraient l’administration compassionnelle de la mort difficilement maîtrisable.

Mais tout celà nous a bien éloigné de notre propos initial, celle de la place, et à mes yeux de l’absence de place, des soignants en tant que tels dans toute tentation d’euthanasie. Celle de la nécessaire responsabilité pour la société d’assumer ses choix sans en faire porter le poids sur des épaules qui ne le peuvent pas.

Pardon pour la longueur de la réponse à toutes les interventions qui ont bien voulu alimenter ce débat.


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