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Commentaire de Luc-Laurent Salvador

sur Génocide rwandais et pouvoir victimaire


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Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 15 janvier 2015 18:10

@ Hervé Hum
 
Merci de pointer une problématique d’une extrême importance vis-à-vis de laquelle, je le reconnais, je n’ai fait aucun effort de clarification dans cet article tant elle est délicate.
 
Il me semble toutefois que vous n’avez pas choisi une citation adaptée à cet effet car celle que vous avez retenue traite de la fabrication du bourreau (vis-à-vis de laquelle Philouie vous répond fort à propos) alors que vous vouliez visiblement évoquer la question de savoir ce que l’on peut et doit appeler « soi ».
 
Sans doute vous savez déjà que le soi est une notion extensive qui ne s’arrête pas à l’enveloppe corporelle et peut comprendre tout ce qu’une personne possède.
 
C’est ce que William James appelait le soi matériel, qui fait partie de nous car notre organisation psychologique s’articule autour de lui. Il comprend tout ce que l’on peut considérer étant nôtre, que cela soit une chose animée (ma famille) ou inanimée (ma voiture, ma maison, etc.).
 
Ainsi quelqu’un peut être dans le sacrifice de soi dès qu’il sacrifie quelque chose qu’il considère faire partie de lui-même, comme par exemple, la chair de sa chair, ses enfants, ou l’être avec qui il vit (qu’il a dans la peau) ou une chose à laquelle il s’est attaché au point qu’il vivrait sa destruction comme étant la destruction d’une partie de lui.
 
Dans tous les cas, de celui qui, consent délibérément à perdre un être ou une chose faisant partie de lui pour une cause ou des valeurs qu’il juge supérieures (comme par exemple le bien de l’humanité), on peut légitimement dire qu’il « s’est sacrifié » alors même qu’il est toujours en vie.
 
Quand Abraham se dispose à sacrifier Isaac, il sacrifie une grande part de lui-même, ce qu’il a de plus précieux au monde.
 
Je comprends que logiquement, numériquement pourrait-on dire, Abraham n’est pas Isaac, mais c’est une logique comptable qu’il est facile d’invalider car si vous reprennez la situation de manipulation perverse évoquée par Philouie, quand vous harcelez quelqu’un jusqu’à ce qu’il vous agresse d’une manière ou d’une autre, cela colle à la définition du sacrifice de soi puisque c’est bien vous qui prenez des coups (seraient-ils seulement verbaux) sauf que c’est seulement une partie de votre « soi » qui, là encore, est atteinte ou endommagée (le soi physique si la personne vous frappe ou le soi social, si la personne porte atteinte à votre image, honneur, etc.). .
 
Donc voilà, les catégories de pensée n’ont jamais rien d’absolu et c’est précisément pourquoi il existe par exemple des anti-spécistes qui considèrent que les animaux sont « comme nous » des êtres vivants qu’il importe de respecter comme nous-mêmes et vis-à-vis desquels il serait inhumain d’appliquer le distinguo habituel animal/autre.
 
Le distinguo soi/autre est tout relatif et c’est justement ce qui se manifeste dans les mécanismes empathiques où nous nous mettons à la place de l’autre et réciproquement.
 
Ceci dit, je ne nie pas du tout la nécessité de bien faire le distinguo entre celui qui sacrifie la vie de son enfant et celui qui sacrifie sa propre vie.
 
Il est très clair que le premier sacrifice est « archaïque » autant que diabolique alors que le second est moderne et en fait proprement « christique ».
 
Un des plus graves problèmes que nous avons dans ce monde tient à la survivance de la première forme, et le drame rwandais en est l’illustration.
 
Cette survivance est justement liée à cette manière « compréhensive » de juger des limites de sorte qu’un personne appartenant à un groupe exterminé nous apparaît incarner la victime parfaite car nous l’associons inévitablement avec ses compagnons disparus alors même qu’elle est bien vivante.
 
Partant, nous lui conférons un statut et un pouvoir qui pourrait être parfaitement illégitime et même diabolique s’il s’avérait qu’elle avait pu contribuer de quelque manière à l’extermination de ses semblables.
 
Je reprendrai cette question dans la deuxième partie et même si je ne pourrai toujours pas la traiter explicitement, j’essaierai néanmoins de clarifier les choses au maximum.


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