Les
livres qui ont changé ma vie …
Ma
petite librairie.
François
Busnel, le présentateur de la Grande Librairie sur France 5 propose
à ses téléspectateurs d’écrire un texte pour évoquer le livre
qui a changé leur vie. Je serais bien en peine de tirer un seul
ouvrage de cette longue liste de coups de cœur, qui, les uns après
les autres, ont modifié mon regard, ma compréhension du monde, mon
rapport aux autres, ma sensibilité.
Il
y a même une certaine prétention à croire qu’un seul livre puisse
ainsi vous transformer. Le piège est grand, du reste, de proposer
alors un ouvrage référencé, un grand auteur ou bien un document
qui en son temps a fait scandale ou bien sensation. Bien au
contraire, notre rapport au livre s’est construit patiemment, il a
été fait de petits cailloux qui ont semé des poussières d’étoile.
Tout
a commencé pour moi par un petit livre marron, à la pauvre reliure
et aux pages jaunies. Il était question d’un petit rat qui vivait
parmi des lutins, personnages filiformes et mystérieux. Combien de
fois ai-je pu lire cette histoire dont curieusement aujourd’hui, je
n’ai le souvenir que d’une illustration et la vision de l’ouvrage ?
Autant que m’imposait alors le manque de livres à la maison.
Puis
il y a eu mon premier roman. La bibliothèque verte, et un étalon
noir qui prenait le chemin de l’Amérique à bord d’un cargo.
J’entrais ainsi dans le romanesque ; je palpitais aux aventures
du jeune garçon et de son cheval, je pénétrais à l’intérieur du
livre. Le précédent m’avait ouvert les portes de l’imaginaire,
celui-la transformait la vie réelle en espace de rêverie.
L’aventure
avec le livre eut alors un curieux passage pour moi. J’ai dévoré la
collection « J’ai Lu » et notamment les livres de
guerre. Allez-donc savoir pourquoi Le Grand Cirque de Klausterman
m’avait ainsi poussé à vouloir en savoir plus. Je lui dois ce
désir de vouloir comprendre les humains embarqués par des aventures
qui les dépassent et parfois les transcendent. Beaucoup d’autres
témoins ainsi, me racontèrent leur épopée ou bien leur misère
dans la grande tourmente.
Il
y eut encore la rencontre d’un auteur. Maurice Genevoix m’est arrivé
comme un coup de poing au ventre avec ceux de quatorze. Il a changé
ma vie, je crois, en profondeur. Tout d’abord avec une fascination
immense pour cette boucherie absurde, cette guerre de l’inhumanité,
ce choc sans précédent, cette saignée monstrueuse dans les
campagnes françaises. Jamais je ne passe devant un monument aux
morts sans aller lire cette interminable liste des hommes disparus au
front.
Puis
il y a eu l’auteur naturaliste. La passion de la Loire et de La
Sologne. L’amour des belles histoires, des aventures de gens simples
dans une langue merveilleuse. Le conteur que j’essaie de devenir
s’est nourri de cette littérature. La proximité géographique a
sans doute permis cet amour pour un presque voisin, homme qui m’a
beaucoup influencé, tout comme mon autre voisin, Louis Martin, avec
ses petits fascicules historiques et surtout celui sur la Marine de
Loire dont j’ai, hélas, perdu mon unique exemplaire.
Les
grands auteurs ne furent pas en reste mais je dois d’abord tirer un
coup de chapeau à un livre qui ne restera pas dans les mémoires et
qui pourtant fut pour moi une révélation : « Clochemerle ».
J’y ai découvert l’humour et la dérision, l’art de se moquer
gentiment de ses contemporains, de regarder leur vie au travers d’un
prisme déformant. L’ironie perce à chaque ligne, les portraits sont
de l’acide ou du vitriol, ce qui, au final, ne laisse aucune trace
puisque tout cela n’est que fiction. C’est pousser la caricature,
tordre le réel pour faire sourire de soi et des autres.
« Clochemerle »
m’a préparé à Hugo, mon grand compagnon dont j’ai lu les romans, à
Céline, personnage épouvantable mais maître de la la plume, aux
auteurs russes qui m’ont embarqué dans de grandes aventures. Je me
souviens d’un été passé avec « Guerre et Paix »,
lecture parfaitement saugrenue en cette période de l’année.
Qu’importe, le livre vaut bien quelques discordance de ce genre !
Ensuite,
les auteurs anglo-saxons sont venus m’imposer leur formidable souffle
romanesque. Ils ont tout balayé avec des récits qui vous poussent à
toujours lire plus loin et souvent plus vite. Je ne suis pas entré
dans le monde policier ni celui de la science fiction : Irving,
Auster, Coe pour ne citer qu’eux, me donnaient ce que je cherchais.
Le
livre c’est encore l’achat compulsif. Je ne peux lire que si je
possède l’objet. Je sais la stupidité d’une telle manie, d’autant
qu’ensuite je le prête pour souvent ne plus le revoir. C’est ainsi,
et j’ai toujours fréquenté exclusivement le rayon livres de poche
pour assumer cette fantaisie.
Alors,
prétendre qu’un seul livre a changé ma vie, je ne puis. Tous les
livres ont contribué à me façonner, à me sculpter. Il a fallu une
longue gestation pour qu’enfin j’ose l’écriture, que je me lance moi
aussi dans une aventure qui me fascinait. J’ai toujours repoussé
l’idée de publier mes écrits, préférant la toile pour ma prose
maladroite. Pourtant un couple d’amis a fini par me forcer la main
pour éditer mes Bonimenteries. Je doute qu’un jour un lecteur
raconte qu’elles ont changé sa vie ; puissent-elles simplement
avoir enchanté quelques soirées.
Maintenant,
j’écris chaque jour pour ne pas oublier tous ces livres qui m’ont
été accordés, pour ne pas oublier que vivre est un cadeau, que
s’il est bon de rêver sa vie, il est encore plus authentique de la
faire partager en quelques instants offerts aux autres. Écrire pour
que le regard des autres soit modifié parfois par quelques phrases
semées ici. Je ne suis qu’un souffleur de vent, je ne suis qu’un
marchand de sable et de songe. Ce sont les livres que j’ai lus qui
m’ont fait ainsi.
Livresquement
vôtre.