Livre Inter
Lettre de candidature suicidaire
En toute franchise.
Mon cher France Inter !
C'est curieusement en plein désamour avec votre station que je pose ma candidature pour participer au jury du Livre Inter. Je ne doute pas que l'entrée en matière va vous rebuter, d'autant qu'il en va des lettres comme des romans : les premières lignes sont prépondérantes pour que se crée le lien ou s'établisse bien vite une distance fatale. Qu'importe, je vous dois la vérité, dussé-je y perdre toute chance d'obtenir l'immense honneur que je brigue.
France Inter a façonné ma culture. Je me plais à dire souvent que je suis un radiodidacte : un esprit qui s'est nourri au sein des grandes voix de votre antenne d'alors. Très tôt, « le masque et la plume » est devenu mon rendez-vous dominical, non que je sois alors devenu cinéphile ou amateur de théâtre. Ce sont les mots et les querelles qui m'attirèrent alors : les joutes des bretteurs de la langue comme Charensol ou Bory.
Je faisais mes devoirs en écoutant Chancel puis Pierre Bouteiller ; j'ai vibré à la magie du verbe avec Claude Villers et Gérard Sire. C'est par vos animateurs d'alors que j'ai construit ce qui me tient lieu de culture, que je suis tombé en pâmoison pour notre langue et que j'ai ouvert mes premiers livres. Rien ne me prédisposait à cela dans une famille où il n'y avait pas de bibliothèque et bien peu d'ouvrages, à l'exception des précieux prix remis par l'école communale.
J'ai lu, grâce à vous et à quelques enseignants qui me conduisirent vers les classiques, les grands auteurs dont je ne me lasse jamais. Il serait fastidieux d'évoquer ces grands romanciers qui m'ont emporté dans leurs aventures. J'ai vibré, j'ai connu des émois et des passions à travers des personnages amis. Les romans devinrent mes livres de chevet.
Ne croyez pas que je sois un lecteur insatiable, un dévoreur compulsif comme il en existe tant. Ce serait mensonge et il n'est pas question d'établir notre relation sur de faux-semblants. Je lis chaque jour, certes, mais une heure tout au plus. C'est ma gourmandise du soir : une belle manière d'ouvrir la boîte aux songes.
Il faut dire que j'ai tant à faire. Je suis enseignant et là, je dois vous avouer ma plus grande déception. J'ai échoué lamentablement dans la transmission du plaisir de la lecture. À de rares exceptions près, mes élèves se sont détournés de la chose écrite. Il faut avouer qu'ils étaient tous en grande difficulté, orientés vers des filières de relégation. Cependant, si jamais je n'ai obtenu d'eux qu'ils lisent, ils ont pris goût à ce que je le fasse pour eux, chaque matin, avec émotion et théâtralité.
C'est donc un mauvais maître qui voudrait, en fin de carrière, tenter un geste désespéré pour rattraper cet échec terrible porté comme un boulet. La seule chose que j'aie réussi à transmettre : c'est l'écriture. Je ne comprendrai jamais pourquoi ma transmission du plaisir de la lecture a été à ce point bancale. Si faire lire me fut toujours refusé, mes ateliers d'écriture furent, à chaque promotion, un vrai bonheur … Un paradoxe de plus dans une existence qui n'en est pas à un près.
Que vous écrire encore pour, éventuellement, vous donner l'envie de rencontrer ce curieux personnage qui s'adresse à vous ? Les contradictions ne manquent pas et il est bien délicat de trouver une cohérence dans les activités qui me déterminent. Prenons donc le risque de vous effrayer un peu plus : ainsi vous n'aurez aucun regret !
J'ai longtemps consacré la presque totalité de mon temps libre au Rugby. Je fus un entraîneur atypique, connu pour sa maxime affichée avant chaque entraînement, ses journaux qui relataient les rencontres précédentes avec lyrisme, ses discours d'avant-match qui faisaient vibrer les murs et les cœurs, et ses séances d'entraînement où jamais rien ne se passait comme avec mes homologues. J'étais plus un chantre du verbe ovale que de la stratégie guerrière.
J'ai grandi et vécu en bord de Loire. C'est elle qui m'a guidé, qui m'a écouté lorsque j'allais mal, qui m'a offert de belles aventures au fil de ses flots, de ses berges et de son histoire. J'écris des fables sur ma belle fille Liger, des chansons, également, chantées par d'autres. Je n'ai de cesse de la raconter sur scène, dans des spectacles où mes Bonimenteries sont à mi-chemin entre le travail du conteur et celui de l'amuseur. J'accompagne mes amis mariniers qui ont cherché à ressusciter la glorieuse marine de Loire.
Blogueur compulsif, fou furieux qui ne s'accorde aucun jour de répit, j'écris chaque jour des billets qui vont nourrir l'immense toile. Sous mon pseudonyme : « C'est Nabum », qui est presque devenu ma seconde nature, je sévis sur de nombreux sites avec un lectorat fidèle et assez nombreux pour faire de ce curieux personnage une relative référence en ce domaine.
C'est d'ailleurs ce dernier point qui me ramène à vous et à ce jury du Livre Inter. Mes lecteurs me demandent souvent d'oser l'écriture du roman. Je n'en ai nulle envie : mes écrits demeureront à jamais des chroniques à la pâle imitation de Vialatte, des fables et des pamphlets parce que j'ai trop de respect pour le roman pour venir y apporter mon grain qui ne saurait être que de sable de Loire.
Voilà, vous savez l'essentiel de celui qui aime à se comparer à un âne bâté. N'ayant aucun diplôme universitaire, je ne peux prétendre à mieux dans une société qui ne juge les gens qu'à l'aune de cette vitrine aux illusions. Je continuerai ma route avec ou sans vous. France Culture est devenue ma fréquence de référence, ne m'en veuillez pas : il y a désormais bien trop de vulgarité sur votre antenne.
Je vous laisse sans espoir de vous convaincre. Vous saluerez bien de ma part Monsieur Ruffin. Vous lui direz qu'il m'a inspiré une fable de Loire : « Le Prévôt des marchands » à partir de son bel ouvrage sur Jacques Cœur. Ce n'est pas le seul roman de cet excellent écrivain, loin de là, que j'ai dévoré avec gourmandise. C'est bien là l'essentiel et nous ne risquons pas de rester sur notre faim après une telle lettre roborative ....
Espièglement vôtre.
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