Un certain nombre de constatations que j’ai pu faire au cours de plusieurs années dans le supérieur :
- Une déperdition progressive de la culture générale. J’en ai un exemple éloquent : un cours sur l’Inde (pourtant promise à devenir une des puissances mondiales, et bénéficiant en plus d’un réel capital de sympathie et de curiosité de la part des étudiants). J’ai dû édulcorer le cours d’année en année, sinon les étudiants saturaient et ne suivaient plus.
- De moins en moins de connaissances précises en histoire dès qu’on remonte au-delà de la Guerre de 40. Quant aux connaissances littéraires, le XIXe siècle a l’air d’être sacrifié au profit d’auteurs racoleurs du XXe style Céline.
Or dans les deux cas, histoire et références littéraires, on peut estimer qu’il s’agit d’une des composantes essentielles d’une identité humaniste, européenne et nationale. Pour enfoncer le clou, malgré tout ce qui se passe dans le monde, mes étudiants ne savent pas la différence entre chiites et sunnites.
Renseignement pris, il ne s’agit pas tant des programmes des lycées qui sont défaillants, mais de difficultés de concentration et d’apprentissage de la part des élèves, sans parler, bien sûr, d’une façon rébarbative d’enseigner (pour caricaturer, autrefois on faisait aimer les textes, depuis que les structuralistes ont bousillé l’enseignement de la littérature on utilise un jargon obscur et tue-plaisir - mais le vent tourne).
Il faudrait peut-être avancer une évidence : s’il n’y a pas de sanction immédiate (mauvaise note, redoublement, etc.) comment veut-on lutter contre l’omniprésence d’une sous-culture commerciale qui monopolise l’attention des élèvres ? Pub, musique, jeux vidéos, ce n’est pas tant leur existence qui pose problème, mais la saturation. Comment veut-on que les informations distillées en salle de cours fassent le poids quand l’élève est branché en permanence dès son réveil sur son MP3 et/ou son portable ? Et je ne parle même pas du contenu d’une grande partie de la musique à la mode, vantant un style de vie incompatible avec les valeurs. Pour résumer, alors que l’éducation repose sur la notion de la ’gratification différée’, tout mais absolument tout dans notre société vante la jouissance, la consommation, l’immédiat.
Pour finir, dans le désordre je le reconnais, le problème des débouchés. Au risque de choquer, je dirais que l’Université n’est pas en priorité conçue pour être une école professionnelle. Elle comporte des formations professionalisées, certes, mais d’autres, également, dont le contenu ne correspond pas nécessairement à tel ou tel emploi précis. Ce qui n’empêche pas les employeurs d’apprécier la culture générale ou l’esprit de synthèse. Là où il y a malhonneteté, c’est de ne pas en informer les étudiants. Pour ma part, je ne manque jamais de prévenir ceux qui veulent poursuivre en Lettres et Langues jusqu’au doctorat, sans présenter les concours, que c’est leur droit, mais qu’ils s’exposent à des années de sadisme psychologique de la part des commissions qui recrutent pour le supérieur. En somme, je me méfie des numerus clausus car il faudrait les réviser en permanence, mais dire aux milliers qui affluent en psycho, par exemple, qu’ils n’ont pas à en escompter un emploi automatique serait la moindre des choses.