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Commentaire de Claudec

sur Réforme du collège : le niveau baisse ? Continuons !


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Claude Courty Claudec 20 mai 2015 18:08

À méditer par tous ceux qui ont des idées à propos de l’école

« Tout l’avenir de l’intelligence dépend de l’éducation, ou plutôt des enseignements de tout genre que reçoivent les esprits. Les termes d’éducation et d’enseignement ne doivent pas être pris dans un sens restreint. On songe généralement, quand on les prononce, à la formation systématique de l’enfant et de l’adolescent, par les parents ou par les maîtres. Mais n’oublions pas que notre vie tout entière peut être considérée comme une éducation non plus organisée, ni même organisable, mais au contraire, essentiellement désordonnée, qui consiste dans l’ensemble des impressions et des acquisitions bonnes et mauvaises que nous devons à la vie même. L’école n’est pas seule à instruire les jeunes [et les moins jeunes]. Le milieu et l’époque ont sur eux autant et plus d’influence que les éducateurs. La rue, les propos, les spectacles, les fréquentations, l’air du temps, les modes qui se succèdent (et, par mode, je n’entends pas seulement celles des vêtements et des manières, mais celles qui s’observent dans le langage), agissent constamment et puissamment sur leur esprit.

Mais donnons d’abord notre attention à l’éducation organisée, celle qui se dispense dogmatiquement dans les écoles. Je ferai une remarque préliminaire qu’exige, à mon avis, la caractéristique la plus manifeste de notre temps. J’estime qu’on ne peut plus traiter une question quelconque qui concerne la vie humaine sans tenir compte des diverses formes qu’elle revêt dans l’ensemble du monde civilisé. En toute matière, notre époque exige de nous ou nous impose un regard plus étendu qu’il ne le fut jadis. On ne peut plus restreindre l’étude d’un problème humain à ce qui se passe dans une certaine nation. Il faut étendre son investigation aux peuples voisins, parfois à des peuples très éloignés. Les relations humaines sont devenues si étroites et si nombreuses [que dire de ce qui a résulté depuis, de ce point de vue, de la mondialisation], et les répercussions si rapides, et souvent si surprenantes, que l’examen des phénomènes de tous ordres qui s’observent dans un canton restreint ne peut suffire à nous renseigner sur les conditions et les possibilités d’existence dans ce même cercle restreint, mêmes locales. Toute connaissance est aujourd’hui, nécessairement une connaissance comparée.

Les hommes de demain en Europe [et dans le monde], c’est à dire les enfants et les adolescents d’aujourd’hui, se divisent en groupes forts différents. Ces groupes seront demain en regard l’un de l’autre, ils seront en concurrence, en liaison ou en opposition entre eux. Il faut donc bien observer comparativement ce que nous faisons de nos enfants et ce qu’en font les autres nations, et songer aux conséquences possibles de ces éducations dissemblables. Je n’y insisterai pas beaucoup . Mais je ne puis ne pas rappeler que, dans trois ou quatre grands pays, la jeunesse tout entière est, depuis quelques années, soumise à un traitement éducatif de caractère essentiellement politique. Politique d’abord, tel est le principe des programmes et des disciplines scolaires dans ces nations. ... mais revenons à la France et considérons un peu notre système d’éducation et d’enseignement.

Je suis bien obligé de constater que ce système, ou plutôt ce qui en tient lieu (car, après tout, je ne sais pas si nous avons un système, ou si ce que nous avons peut se nommer système), je suis obligé de constater que notre enseignement participe de l’incertitude générale, du désordre de notre temps. Et même, il reproduit si exactement cet état chaotique, cet état de confusion, d’incohérence si remarquable, qu’il suffirait d’observer nos programmes et nos objectifs d’études pour reconstituer l’état mental de notre époque et retrouver tous les traits de notre doute et de nos fluctuations sur toute valeur. Notre enseignement n’est pas ... nettement dominé par une politique [bien qu’ il y tende]. Il est mêlé de politique, ce qui est fort différent ; et il est mêlé de politique de manière irrégulière et inconstante. On peut dire qu’il est libre, mais comme nous-mêmes sommes libres, d’une liberté tempérée à chaque instant par la crainte de ses excès, mais ravivée dès l’instant suivant, par la crainte de l’excès contraire. À peine sommes-nous rassurés par l’énergie qui s’annonce et qui va se montrer, que nous nous hérissons contre cette démonstration esquissée. ...

Qu’en résultera-t-il pour la valeur de la culture ? Que deviendront l’indépendance des esprits, celle des recherches et surtout celle des sentiments ? Que deviendra la liberté de l’intelligence ? »

Une réflexion de Paul Valéry qui n’a pas pris un cheveu blanc


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