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Commentaire de Didier Rykner

sur Objectif Louvre


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Didier Rykner (---.---.241.4) 6 mars 2007 20:56

On peut, bien sûr, être favorable à l’opération du Louvre à Abu Dhabi. Encore faut-il connaître le sujet, et ne pas utiliser des arguments approximatifs, voire faux. Votre article est à la fois outrancier, mal informé, et de mauvaise foi. Je vais expliquer ci-dessous pourquoi, point par point :

Votre introduction d’abord, est outrancière. Nous (lorsque je dis nous, j’inclus les auteurs de l’article paru dans Le Monde) n’avons jamais « crié au vol des oeuvres » et au « pillage du patrimoine français ». Je vous mets au défi de trouver ces termes et ces idées dans un seul de nos écrits. Nous avons, en revanche, effectivement dénoncé une dérive mercantile du Louvre et du Ministère de la Culture.

Dire que nous craignons que ce projet soit « une façon de brader le nom « Louvre » qui ne devrait pas sortir de France » ne veut pas dire grand chose et prouverait, si nous avions écrit cela, que notre style est franchement mauvais. Nous disons simplement que le Louvre n’est pas une marque. Encore ce point n’est-il pas l’essentiel de notre opposition. S’il était uniquement question de louer le nom « Louvre », je n’aurais certainement pas lancé une pétition. Nous n’avons jamais écrit que l’on « dilapidait les œuvres ». « Dilapider » signifie (dictionnaire de l’Académie) « Dépenser inconsidérément, gaspiller ». Cela ne voudrait strictement rien dire dans ce contexte. Nous n’avons jamais parlé « d’art d’Etat » (je ne sais même pas ce que cela veut dire). Nous n’avons jamais dit que l’art devait être uniquement tourné vers la conservation et la restauration, d’abord car cela ne veut, une fois de plus, rien dire (relisez-vous), ensuite car nous avons toujours affirmé être favorable aux prêts d’oeuvres d’art, qui n’ont rien à faire avec la conservation et la restauration.

Je vous mets une fois de plus au défi de trouver des textes où nous affirmerions ce que vous dites. Vous avez reformulé nos arguments que, manifestement, vous n’avez pas bien compris.

Vous affirmez qu’il s’agit surtout du rayonnement de la France à l’étranger. Si ce « rayonnement » était la préoccupation première de notre gouvernement, il ne fermerait pas, un à un, les centres culturels français un peu partout dans le monde comme les journaux en rendent compte régulièrement. L’opération d’Abu Dhabi ne fait pas rayonner la France à l’étranger. C’est le seul point que je ne pourrai pas vous prouver ici, mais je peux vous affirmer, par exemple, que les conservateurs de musée américains considèrent ce projet avec beaucoup d’ironie, et qu’ils pensent que louer ses collections au plus offrant n’est pas réellement très glorieux. Quant à affirmer, comme vous le faites dans une réponse à un commentaire, que les américains le font, c’est encore une fois parfaitement faux. Si le Guggenheim pratique cette politique, il est le seul.

Le budget du Ministère de la Culture ne cesse d’augmenter d’année en année (ce dont se vante Renaud Donnedieu de Vabres) et on veut nous faire croire que tout à coup il n’y a plus d’argent pour les musées ? Le mécénat, qui s’est beaucoup développé ces dernières années grâce à une fiscalité favorable, donne des moyens considérables aux musées français, que bien des pays nous envient. Le Louvre, puisque l’on parle de lui, est loin d’être pauvre. Encore faut-il bien utiliser son argent. Que pensez-vous d’un musée qui s’apprête à refaire ses salles d’Antiquités Grecques et Romaines, qui sont en parfait état et avaient été déjà rénovées il y a un peu plus de vingt ans ? Que pensez-vous d’un musée qui s’apprête à créer un Centre de Restauration et de Recherches, alors que ce centre existe déjà, pour tous les musées français, y compris le Louvre (il s’agit du C2RMF, qui se trouve dans l’enceinte du Louvre et qui est reconnu par tous). Seulement, ce centre de restauration n’a qu’un défaut : la direction du Louvre ne le contrôle pas. On s’apprête donc à dépenser beaucoup d’argent pour créer un second centre de restauration. On imagine le gaspillage que cela va occasionner.

Quant aux réserves du Louvre, ce mythe est décidément increvable. Il n’y a pas que Jean-René Gaborit, ancien conservateur en chef du département des sculptures qui affirme le contraire. Il y a aussi Michel Laclotte, ancien directeur du Louvre (dans Libération). Il y a aussi Olivier Meslay, le conservateur du Louvre actuellement en charge des projets de Lens et d’Atlanta, qui n’est pas soupçonnable de soutenir les pétitionnaires. J’ai participé, en sa compagnie, à un débat à la Sorbonne. Il a confirmé à cette occasion que les réserves ne conservaient pratiquement rien d’exposable, et qu’à Lens, ce seraient 500 à 600 œuvres actuellement accrochées au Louvre qui seraient montrées, en permanence et par roulement, les objets restant au maximum deux ans (comme à Abu Dhabi). Le mythe des réserves remonte à l’époque d’avant le Grand Louvre et d’avant Orsay, qui tous deux se sont constitués en sortant les œuvres qui étaient à l’époque nombreuses à ne pas être montrées, faute de place. Il reste dans les réserves beaucoup d’objets qui sont souvent utiles pour les chercheurs, mais pas pour le public. Le seul musée français ayant réellement des chefs-d’œuvre dans ses réserves est Beaubourg, qui mériterait de s’étendre dans davantage d’espace plutôt que de s’exporter. Quant aux musées de province, certains ont des réserves très importantes, avec des œuvres intéressantes, mais aucun chef-d’œuvre. Ceux-ci sont évidemment exposés dans leurs salles. Ne vous trompez pas, demain, ce seront ces chefs-d’œuvres qui partiront à Abu Dhabi, pas les œuvres de réserves.

Tous ces arguments sont « concrets » et liés à ma « connaissance » du dossier. J’attends vos contre arguments qui ne déformeront pas les miens. Quand, demain, le Louvre aura déposé 500 à 600 œuvres à Lens (la région de France qui compte déjà le plus de musées), qu’il aura envoyé des chefs-d’œuvre à Abu Dhabi (sans oublier l’organisation des expositions dans ces deux antennes), il y aura forcément des trous dans les collections. Ce que Troll fait remarquer justement : il y a déjà beaucoup d’œuvres parties qui ne sont pas remplacées sur les cimaises, à commencer par le Jeune mendiant de Murillo envoyé à Atlanta.

Je terminerai sur le « volontariat ». Compte-tenu du nombre de directeurs de musées de province qui ont signé la pétition, et de ceux qui ne l’ont pas signé mais qui sont tout de même opposés à ce projet (j’en connais plusieurs), pour des raisons diverses (par exemple pour ne pas aller contre leur maire, ou parce qu’ils ont un projet en commun avec le Louvre...), je ne sais pas bien où ils iront chercher leurs volontaires. Bien évidemment, ce sont les maires, donc les hommes politiques qui prendront les décisions, et qui auront bien du mal à résister à l’appel des millions d’euros. Les conservateurs n’auront qu’à s’exécuter. Pensez-vous, d’ailleurs, qu’un maire qui aurait reçu quelques millions d’euros en échange de la location des chefs-d’œuvre de son musée, et qui les aurait reversé à celui-ci, ne sera pas tenté de diminuer ses dotations les années suivantes ?

Faire passer cette opération purement mercantile et diplomatique pour un modèle d’opération culturelle participant au rayonnement de la France dans le monde est la seule réussite exceptionnelle que je reconnais à ses promoteurs. Qu’elle soit décidée, sans réel débat, à sept semaines des élections, par un ministre qui devrait expédier les affaires courantes et qui engage la France pour trente ans (et six mois - sic) prouve par ailleurs la dimension peu démocratique de ce projet. Il est vrai que La Tribune de l’Art est entièrement censurée à Abu Dhabi, alors, la démocratie...


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