@Yurf_coco
La question de la norme de la morale et de sa légitimité est un problème dont nous pouvons parler des heures. Que vous doutiez de la légitimité de telle morale, en l’occurrence la chrétienne, ça vous regarde, mais je trouve plus étonnant que vous rejetiez le principe même de la morale, qui est d’opposer un ordre idéal de choses à l’ordre des faits. On a beau adopter n’importe quelle doctrine en matière de morale, il n’empêche que lorsque nous sommes confrontés à une chose qui nous scandalise et nous indigne, notre jugement exprime toujours exactement ceci : « une telle chose ne devrait pas être ainsi, elle devrait être autrement ». Un tel sentiment n’existe par ailleurs pas seulement dans notre for intérieur, mais s’extériorise en régulant aussi notre action. Un être moral s’emploie autant que possible à corriger, ou à éviter, ce qu’il juge être un mal. Mais la norme morale à partir de laquelle il exerce son jugement n’est pas seulement subjective, elle n’est pas formée seulement par le jeu des intérêts égoïstes de la personne, de ses penchants individuels, mais par une faculté à partir de laquelle il considère la condition de ses semblables sous une certaine universalité. La morale, par conséquent, si elle prend sa source dans un sentiment subjectif, ne se limite pas à la subjectivité propre des individus, et a plutôt tendance à déborder sur l’objectivité. C’est pour cela que Kant cherchait un principe de la morale dans la raison, qui permette d’édicter une norme morale qui puisse être reconnue comme valable pour tout être raisonnable. Les philosophes qui prônent une morale non rationnelle, mais basée sur la sympathie, sont obligés de justifier la légitimité de leur doctrine sur l’universalité de cette sympathie, et enfin, les tenants d’une morale perfectionniste, qui avancent que la vertu consiste à développer ses facultés humaines, partent eux aussi du principe que ces facultés se trouvent universellement chez tous les êtres humains, au moins à l’état potentiel. Par conséquent, si la morale est fondée sur un sentiment subjectif, on ne peut pas pour autant lui dénier une prétention à l’universalité, sans quoi sa légitimité s’effondre totalement. Le christianisme prétend que l’amour est un principe universel, accessible à tous les êtres humains, et qui devrait régler leur conduite. Ce qu’il propose a donc toutes les caractéristiques d’une morale, et si on peut contester le principe qui fonde cette morale, on ne peut cependant pas lui reprocher de souhaiter que celle-ci s’applique universellement, car toute morale est ainsi.