Cher(e) Senso,
Je n’ai jamais remarqué qu’à aucune élection, avant de me confier un bulletin PS, on m’ai demandé un certificat de non-PEA. Il ne me semble pas qu’il y ai de hiatus idéologique majeur entre le fait de soutenir le progrès social et le fait de détenir des actions. Du reste, le communisme, n’est-ce pas l’état de l’économie dans lequel les moyens de production appartiennent aux travailleurs ? C’est très exactement ce que je fais en investissant en bourse.
Plaisanterie mise à part, je vous suggère de visiter ma modeste page boursière, où j’étale sans vergogne ma philosophie de la bourse en ces termes :
Il reste que vous aurez peut-être quelque scrupule à spéculer sur le dos des travailleurs. On le sait, la bourse n’a pas bonne presse. On pourra gloser indéfiniment sur la place qu’ont pris les marchés financiers dans la vie politique mondiale. Nombre d’intellectuels souligneront que le libéralisme ne conduit qu’à l’aggravation des inégalités, à la création d’une classe de possédants archi-dominante quelques milliers de familles qui se partagent 75% des richesses de la terre tandis que la quasi-totalité du reste du monde éprouve des difficultés ne serait-ce qu’à vivre. Les adversaires de la mondialisation observeront avec consternation l’uniformisation des cultures par le modèle américain de l’abêtissement des masses. La classe politique s’alarmera de l’abandon progressif de la souveraineté des états pour la remplacer par la défense d’intérêts qui n’ont qu’un vaguer rapport avec la légitimité démocratique. Et des élites jusqu’aux simples citoyens, on se méfiera de l’importance croissante accordée aux taux d’intérêts, aux changes entre devises et aux cours de bourse, facteurs qui paralysent toute action sociale visant à redistribuer les richesses.
Et au risque de sembler cynique, je vous dirai que je ne suis pas loin de partager ces idées. Il est clair, pour quiconque a des yeux et des oreilles, que la société actuelle est conçue par et pour les possédants, pour le plus grand profit du capital et au détriment du monde du travail. La timide embellie économique actuelle ne doit pas nous faire oublier à quel point vingt ans de hausse ininterrompue du chômage ont pu habituer les salariés à courber l’échine et à endurer sans protester - voire en remerciant que cela ne soit pas pire - la chute du pouvoir d’achat pour le plus grand nombre.
Toutefois, ma philosophie diverge de celle des personnes évoquées ci-dessus en un point essentiel : l’attitude à adopter vis-à-vis de ces phénomènes. Je n’ai, en effet, aucun goût pour les luttes militantes, car à ce petit jeu, seul s’en tire celui qui a la plus grande gueule, et je sais par expérience que ce ne sera pas moi. En outre, il y a, dans toute aventure révolutionnaire, des balles perdues à récolter (que d’autres se chargent de périr pour la Cause), des cachots à visiter (ce que je ne suis pas pressé de faire), et de plus les gaz lacrymogènes m’irritent la conjonctive. Enfin, à titre personnel, je doute de pouvoir changer grand chose à l’ordonnancement du monde, étant, je dois le confesser, de nature timorée et peu ambitieuse. Donc, n’ayant aucun espoir de changer, par mon action, l’environnement humain qui est le mien, j’ai pris mon parti d’en tirer profit. Puisque le monde appartient aux riches, autant en devenir un. Puisque le capital est récompensé et le travail puni, autant devenir actionnaire. Puisque l’avenir de l’humanité se décide à la bourse, autant l’utiliser à notre profit. Mon expérience m’a appris qu’il y avait, là comme ailleurs, bien assez d’imbéciles heureux de se faire plumer, et qu’à condition de se passer de choses aussi indispensables que les vacances de neige (qui, soyons honnêtes, valent plus par la reconnaissance sociale qu’elles procurent que par le réel plaisir qu’on y prend), il était fort possible d’amasser un pécule et de le faire fructifier afin, lorsque l’âge de la retraite sera venu, de profiter d’un confortable patrimoine bourgeois. Cela n’empêchera pas les enfants d’Ethiopie de crier famine, cela ne rendra pas le monde meilleur, mais cela rendra MON monde meilleur, et c’est ce qui m’importe au premier chef.