Mon Nicolas Miguet à moi
Vous avez sûrement découvert son existence ces derniers jours, ou éventuellement, vous vous souvenez de sa dernière campagne il y a cinq ans, mais moi, ça fait longtemps que je le connais, le père Miguet. J’ai même lu régulièrement son canard, « bourseplus.com ». Si vous le trouvez chez un buraliste, il faut le lire au moins une fois, ça vaut son pesant de cacahuète.
C’était au tout début où je m’intéressais à la Bourse, en 2000. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque, c’était très particulier, c’était la bulle Internet. Tout le monde jouait en Bourse, tout le monde, du conseiller financier de la Société Générale au chauffeur de taxi, et on tradait comme des oufs sur Gemplus, Genset, Kalisto, Cyrano, Equant. Des actions comme Canal+ ou France Telecom étaient valorisées avec des PER de 300, c’est-à-dire qu’il fallait trois siècles de bénéfice pour rembourser le prix d’achat. C’était cher. C’était trop cher. C’était hors de prix, mais tout le monde trouvait ça normal. C’était ringard, le PER, d’après la philosophie de l’époque, ça n’était plus un indicateur pertinent. On préférait valoriser les abonnés, les synergies, les convergences...
J’avais pour ma part une notion de la Bourse un peu à rebrousse-poil. Je n’avais pas confiance dans tous ces ootrucs.com ni dans les e-sfoodmoi.fr, je ne comprenais pas comment ils comptaient gagner de l’argent, et donc j’achetais de bonnes vieilles valeurs industrielles complètement délaissées, Renault, Air Liquide, des choses comme ça. Et scotché à mes actions certes de valeur, mais pas du tout cyberalamode, je regardais avec rage et dépit s’envoler à des valeurs stratosphériques les start-up les plus farfelues. Les journaux financiers inventaient les théories les plus absurdes pour justifier ces valorisations, mais la vérité, c’est que tout simplement, nous étions dans une bulle spéculative de l’eau la plus pure, totalement irrationnelle. Et au bout d’un moment, j’ai été au bord de l’irrationnel, j’ai été tenté, moi aussi, d’acheter des warrants sur Lucent et des conneries dans ce genre. Mais je m’en suis gardé, et j’ai bien fait. Pourquoi m’en suis-je gardé ?
Parce que je lisais, donc, la publication de Nicolas Miguet qui, à cette époque, était la seule, je crois, à dire "n’achetez pas toutes ces pouilleries (le mot est de lui) conseillées par la presse stipendiée (toujours son vocabulaire), et investissez plutôt dans de vraies sociétés". Chaque semaine, ses exhortations étaient une bouffée de bon sens dans l’océan de billevesées qui noyait la planète boursière. Voici pourquoi je suis resté investi sur de bonnes valeurs pendant le krach qui a emporté, chez certains, 90% de leurs économies. Car bien sûr, la bulle a crevé encore plus soudainement qu’elle n’avait gonflé, les PER de 300 ont disparu, les start-up ont coulé, tout le monde a retrouvé la raison, avant de paniquer dans l’autre sens, comme de juste. Et puis les avions ont volé bas, les tours sont tombées, les cours ont suivi, bref... J’ai perdu de l’argent, mais bien moins que d’autres, et comme je suis resté en Bourse (car Miguet disait avec raison que les marchés boursiers finissent toujours par remonter), je me suis refait en quelques mois.
Merci, donc, Nicolas Miguet.
Et puis ça s’est gâté. Déjà, pour un sympathisant socialiste comme moi, il fallait un certain détachement pour lire avec les délires politiques du gourou boursier, qui oscillaient, d’un numéro à l’autre, entre prêchi-prêcha catho, royalisme ridicule et identitarisme moisi. Bon, qu’on soit de droite, voire très à droite, admettons, qu’on s’en répande dans son journal, ben, justement, c’est son journal, mais là où ça branlait un peu dans le manche, c’est que les éditoriaux du Miguet n’avaient, d’une semaine à l’autre, aucune cohérence. Dans un numéro on lisait des diatribes contre les "élites financières et médiatiques" dans lesquelles, selon les grilles de lectures habituelles de l’extrême droite, on flattait les tendances antisémites de l’électorat vieille France archéo-pétainiste, et, dans le numéro suivant, on lisait avec étonnement un panégyrique de la politique israélienne. Un jour pro-américain, le lendemain anti. Là où ça m’a sauté à la figure, c’est quand j’ai lu une lyrique défense de l’euro et de la politique de la BCE, là où, l’année d’avant, le même Miguet appelait à... faire la grève de l’euro, et à revenir au franc-or pour lutter contre le parti de l’étranger !
Je me suis progressivement démiguifié. Il continue à raconter ses histoires de Bourse à ses fidèles, sur son audiotel surtaxé (surnommé, par les boursicoteurs désabusés, l’idiotel), dans sa lettre "confidentielle" vendue sur abonnement uniquement à 989 euros par an (non, ce n’est pas une coquille), et dans son hebdo que je lisais naguère. J’ai bien fait. Il a conseillé d’acheter, tour à tour, Eurodisney, DMC, Moulinex, Infogrames, il n’a manqué quasiment aucune des calamités financières de ces dernières années. Son "coup" historique sur Eurotunnel n’a pas laissé que le goût de la victoire à ses adeptes, le titre ayant cessé de coter depuis. Sa réputation, dans le milieu boursier, est devenue épouvantable, ceux qu’il ne consterne pas, il les fait rire, mais apparemment, il a encore des gogos qui le suivent. Tout porte à croire que ses activités boursicoles ne sont plus pour lui qu’un moyen de se faire un petit auditoire pour le soutenir dans ses pathétiques ambitions politiques.
Alors, menace fasciste ? Dangereux activiste d’extrême-droite ? Populiste ravageur ? Je ne pense pas. Au fond, c’est plutôt un personnage sympathique, ce Miguet. C’est un peu le Joe Dalton de la politique, on sait bien que quelque coup tordu qu’il tente, il finira toujours par retourner en prison (qu’il a d’ailleurs déjà visitée au début des années 1990). Mais il tente, il étonne, il ose. On se dit "quand même pas ?", et si, pourtant, il le fait. Peut-on vraiment prendre au sérieux un homme qui vante les valeurs civiques, chrétiennes et familiales et qui, dans le même temps, est condamné pour fraude fiscale et faillite frauduleuse, et comme en témoigne Libé, a quand même trouvé le temps de faire cinq enfants à quatre femmes différentes (dont une légitime) ? Honnêtement, dans cette France aseptisée de la concurrence libre et non fumeuse, dans ce pays de salariocrates interchangeables et préformatés en costumes noirs et de cravates grises, dans ce pays où ce qui se rapproche le plus d’un révolutionnaire, c’est François Bayrou, on se dit que des Miguet, on ferait bien d’en avoir plus. Au moins, on rigolerait un peu.
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