Alain Peyrefitte– – Le traité de Rome n’a rien prévu pour qu’un de ses membres le quitte.
Général de Gaulle. – C’est de la rigolade !
Vous avez déjà vu un grand pays s’engager à rester couillonné, sous
prétexte qu’un traité n’a rien prévu pour le cas où il serait
couillonné ? Non. Quand on est couillonné, on dit : “Je suis couillonné. Eh bien, voilà, je fous le camp ! “ Ce sont des histoires de juristes et de diplomates, tout ça.
AP. – Nous pouvons dire que ce n’est pas nous qui abandonnons le Marché commun, c’est lui qui nous abandonne.
GdG. – Mais non ! Ce n’est pas la peine de raconter
des histoires ! D’ailleurs, tout ce qui a été fait pour l’Europe, par
ceux qu’on appelle les “européens “, a très bien marché tant que c’était
la France qui payait tout. On a commencé par la Communauté européenne
du charbon et de l’acier. Ça a consisté en quoi ? En ce qu’on a rendu à
l’Allemagne son charbon et son acier, qu’elle n’avait plus car on les
lui avait retirés. On les lui a rendus pour rien. Et ça a consisté à
donner aux Italiens ce qu’ils n’avaient pas : du charbon et du fer.
Alors, ils ont pu faire une industrie métallurgique. Mais nous, nous
n’avons pas retiré un rotin de la CECA, pas un rotin !
Nous avions un problème qui était la modernisation de
nos mines, mais nous les avons modernisées sans que la CECA nous donne
un sou. Voilà ce qu’a été la CECA ! C’était une escroquerie, au profit
des Allemands et des Italiens !
« Après quoi, on a fait l’EURATOM. Et c’est la même
chose. Dans l’EURATOM, nous apportons 95% . Il n’y a que nous qui ayons
une réelle capacité atomique. Les autres n’en ont absolument aucune, ni
installations, ni spécialistes pour les faire tourner. Alors, nous
mettons en commun nos 95% de capacité atomique et les autres mettent
leurs 5% et on partage les résultats, chacun au même titre ! C’est une
escroquerie !
« La Communauté européenne de défense, c’était la
même chose. Pourquoi l’a-t-on inventée ? Parce que les Allemands
n’avaient pas d’armée. Alors, comme on avait peur des Russes, il fallait
qu’ils en fassent une, mais comme on ne voulait pas qu’elle soit sous
commandement allemand, on la plaçait sous le commandement du général
Norstadt. Mais du coup, on voulait en faire autant pour l’armée
française ! C’est l’Europe à leur façon. Mais si l’on veut faire une
Europe qui ne soit pas à notre détriment, alors, il n’y a plus
personne !
« Évidemment, aujourd’hui, les Allemands commencent à
se dire : « Si nous ne faisons pas le Marché commun avec les Français,
les Français vont s’arranger avec les Russes. Et ensuite, qu’est-ce qui
va nous arriver ? Nous serons en danger. » Et c’est parfaitement exact.
Si la politique du traité franco-allemand, c’est-à-dire le noyau de
l’Europe, ne réussit pas, eh bien, nous irons vers d’autres.
AP. – D’autres, c’est-à-dire les Russes ?
GdG. – Naturellement ! Ils voient que le
moment est venu. Ils nous font des mamours, en se disant : “On va
pouvoir s’arranger avec les Français, comme autrefois.” Et dans ce cas,
nous cesserons d’être couillonnés, ce sont les Allemands qui le seront. »
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