Mais encore ?
@Doume65
J’explique ça beaucoup plus bas, certes sommairement, et il est bien possible que seuls des galériens de l’Education nationale, ou d’anciens galériens, comme moi, puissent comprendre immédiatement ce texte asses sibyllin. SI vous voulez plus de détails, je peux vous expliquer, mais j’ai déjà sur l’Internet, depuis plus de vingt ans, écrit des centaines de pages à propos de ces théories fumeuses des « pédagogues », et revenir là-dessus aujourd’hui maintenant que j’ai pris ma retraite, c’est toujours assez pénible.
En gros ; dès le milieu des années 80, Chevènement qui revient d’un Japon où il a cru pouvoir trouver des idées neuves invente que 80% d’une classe d’âge doit arriver au niveau du bac. Jusque là, quand on avait le bac, c’est qu’on avait dans la tête un certain acquis intellectuel, et aucun prof n’a jamais été capable de faire des miracles : dans une classe, il y en a toujours un certain nombre qui, à la fin de l’année, n’auront pas le niveau requis. Pour atteindre l’objectif des 80% qui ressemble à celui qu’on peut se donner dans l’industrie (produire telle quantité de bagnoles tous les jours à la sortie d’une usine par exemple), personne n’a jamais su comment faire : on ne forme pas la culture d’un adolescent comme on fabrique une soupière ou un presse-purée.
Quelques crétins déjà notoires et qui se prennent pour des thaumaturges, fort heureusement, détiennent la solution miracle : la pédagogie. C’est parce que les profs ne savent pas enseigner qu’il y a de l’échec. Le tout-pédagogique viendra à bout de toutes les difficultés. A la même époque, deux sociologues publient un bouquin qui prétend, contre le sentiment commun à la plupart des profs, que « le niveau monte ». Vive la pédagogie, donc, qui va encore faire monter le niveau jusqu’à ce qu’on arrive aux 80% prévus (pourquoi pas 100% ? Pourquoi consentir à sacrifier 20% d’une classe d’âge ? Je n’ai jamais compris). On aura donc créé les IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres) pour donner aux jeunes profs les recettes infaillibles qui permettront la réussite de tous. Je n’ai pas connu les IUFM qui, dans mon temps, n’existaient pas, mais de l’aveu de tous ceux qui sont passés par là, c’était l’horreur absolue : des pédants qui avaient choisi de former de jeunes profs parce que souvent ils étaient las d’affronter des classes de plus en plus difficiles, s’étaient très vite mis au diapason de la doxa Meirieu qui consiste à inventer des mots pseudo-savants pour désigner les choses les plus simples. Vadius et Trissotin, les pédants ridicules de Molière, à côté de ces sinistres abrutis, auraient paru des hommes de génie.
Je parlais des concepts creux : après le mot d’ordre des 80%, le slogan « l’enfant au centre ». Au centre de l’école, sans doute, comme s’il n’y avait jamais été. Cela ne voulait pas dire grand chose, sinon qu’il fallait cesser de partir d’une culture à transmettre, extérieures à « l’apprenant » (nouveau mot pour dire élève) pour partir de l’élève lui-même qui devait « apprendre à apprendre » et tout découvrir par lui-même sans qu’on lui imposât rien par ces abominables cours magistraux si vilipendés dès 68. Le prof n’a plus à savoir grand chose non plus, il ne lui reste qu’à donner à l’apprenant les méthodes qui lui permettront, tout seul, de construire très librement sa culture, en particulier à partir de l’Internet.
Le résultat c’est que le niveau qui n’était pas bien brillant commence à baisser très sensiblement, pour s’effondrer complètement au tournant du siècle : non seulement les élèves n’ont rien gardé en mémoire (à bac +2, on m’explique que tel roman publié en 1835 est contemporain de Jeanne d’Arc ! Non, je voulais dire Louis XIV ! etc.) mais ils sont de plus en plus incapables de rédiger, et parmi les bacheliers depuis vingt ans, une proportion non-négligeable est illettrée. Cet effondrement s’observe dans toutes les disciplines. Il est dû au fait que, dans une classe, lorsque la disparité des niveaux est trop considérable, le cours devient impossible : si on se met au niveau des meilleurs, la plupart ne comprennent plus rien, et si on vise les plus faibles, les autres ont l’impression de perdre leur temps. L’idée de sélection est devenue un tabou : tout bachelier peut s’inscrire en université mais beaucoup, dégoûtés par des échecs répétés aux premiers contrôles, démissionneront dans les six premiers mois.
Etudier, c’est difficile, cela demande un effort, même aux mieux doués, mais quand les élèves comprennent que l’obtention du bac est un droit, qu’ils l’auront de toute façon parce que pour arriver aux 80% on abaissera le niveau autant qu’il le faudra, pourquoi se fatiguer ? A partir de ce moment-là, l’école devient une garderie où le sens de l’émulation s’inverse. L’élève qui veut travailler et réussir est un « bouffon », un imbécile qui n’a rien compris au système, et c’est à qui en fera le moins possible et transformera au mieux le cours en séance de divertissement, au mépris du prof qui continue de faire semblant de vouloir dispenser une culture dont personne n’a que faire. Je l’ai souvent écrit sur ce site : le plus simple serait encore de modifier le premier article de la déclaration des droits de l’homme : les hommes naissent libres et égaux en droits, et bacheliers (ou licenciés, ou docteurs !).