Sabine Dacier avait procédé elle-même à
l’organisation des Camps Spéciaux d’Internement. Aussi était-elle
particulièrement fière quand elle fit visiter celui de Tours, sa ville
natale, à Marie-Pierre Horin, avec qui, par ailleurs, elle venait de se
mettre en ménage, le mari de celle-ci, depuis quelques jours arboraient
avec fierté son insigne triangulaire d’Auxilaire Masculin Privilégié.
La porte du Camp s’ouvrit devant les deux Ministres pour leur offrir
dès l’entrée un spectacle inattendu. Apparemment, aucune présence
masculine. Seules, quelques gardiennes en uniforme de cuir noir
déambulaient dans l’enceinte fortifiée du camp. Elles étaient élégantes
et particulièrement excitantes dans leur tenue officielle créée par
Amanda Kred, la ministre de l’Industrie, et confectionnée par ses
propres mâles. A part leur pistolet réglementaire pendant contre leur
hanche, les jeunes femmes n’avaient comme arme qu’un petit boîtier de
télécommande à la main.
En s’avançant Marie-Pierre constata que le sol qui semblait vitrifié
était en fait constitué par de grande plaques de verre très épais sur
lesquelles avançaient les gardiennes grâce à des chaussures à semelles
caouchoutées.
- Mais, Sabine, demanda la Première Ministre, où sont donc les mâles rebelles ?
- Regarde par terre, chérie.
Baissant les yeux, Marie-Pierre eut un sursaut de surprise en
découvrant sous elle, dans d’étroites petites cellules fermées
simplement en haut par les épaisses dalles de verre rivetées, des hommes
complètement nus, un par cellule, assis, couchés ou debout selon la
largeur de celle-ci.
- Mais ils voient mes fesses ! s’exclama-t’elle en plaquant sa jupe sur ses cuisses. Quelle horreur !
- Laisse donc. Ils n’ont que ça à voir jusqu’à leur mort. Et la
plupart d’entre eux ne sont plus des êtres humains depuis longtemps.
Regarde les gardiennes ! Elles s’en fichent bien, elles !
Effectivement les jeunes-femmes ne semblaient pas s’inquiéter du
spectacle qu’elles offraient aux habitants du sous-sol. Parfois, l’une
d’entre elles, paraîssant découvrir quelque chose sous ses pieds,
utilisait quelques secondes sa télécommande, constatait les conséquences
de son geste puis reprenait tranquillement sa promenade.
- Que fait-elle ? demanda Marie-Pierre.
- Son boîtier de télécommande lui permet, d’en haut, de gérer
totalement la vie des prisonniers d’en bas. Elle doit d’abord composer
le code d’accès de la cellule qui l’intéresse. Elle a alors le choix
entre cinq fonctions différentes. D’abord l’ouverture de la. trappe de
verre (quand un nouveau prisonnier est amené). La distribution de
nourriture (qui se fait par un système de conduits pneumatiques). Le
lavage (un jet d’eau puissant nettoie le sol, les murs et l’occupant de
la cellule). L’évacuation (l’eau, les restes et les excréments sont
emportés vers les égouts). Et l’élargissement ou le rétrécissement des
cloisons latérales.
- C’est vrai. Ils n’ont pas droit tous à la même surface vitale ?
- Non, ma chérie, continua d’expliquer Sabine. Cela dépend de leur
comportement et de l’importance de ce qui leur est reproché. Les
gardiennes sont seules juges. Elles peuvent accorder les deux mètres
carrés maximum (un mètre sur deux) qui leur permettent de s’allonger par
terre s’ils le désirent ou rétrécir la surface au sol pour qu’ils ne
puissent se tenir qu’assis ou debout.
- Celui-ci qui nous regarde d’un drôle d’air ne peut même pas bouger !
- Gardienne !
- Oui, Madame la Ministre ?
- Qu’a fait cet homme ?
- Oh, celui-ci ! fit la jeune-femme en uniforme en désignant du pied
le visage tendu vers elles. C’est un râleur. Jamais content ! Il n’en a
plus pour très longtemps, de toute façon. Chaque jour, je rapproche les
cloisons de sa cellule d’un centimètre.
- Il va finir par être étouffé ? demanda Marie-Pierre intéressée par
le supplice de l’homme dont le regard ne quittait pas ses dessous. Cela
fait-il longtemps qu’il est dans cette position ?
- Plus d’une semaine, Madame la Première Ministre. Mais croyez-bien
que, pour lui, cette semaine représente une véritable année ! Quant à
étouffer, je ne sais pas. Certains meurent effectivement par étouffement
mais d’autres attendent d’être complètement écrasés avant de rendre
l’âme !
- Les cloisons, en effet, peuvent se rapprocher jusqu’à se toucher,
expliqua Sabine plus en détails. Ainsi les prisonniers sont réduits en
une bouillie sanglante qu’il ne nous reste plus qu’à évacuer par les
égouts, comme leurs excréments...
- Quelle horreur !
- Mais non. Ce ne sont que des rebelles machistes !
Extrait de « Quand la femme vint au pouvoir » Aline d’Arbrant.