Quand les temps changeront
Le "nous" m'a toujours paru flou, difficile à tenir. Le début de ce XXIème siècle, guère marqué collectivement que par une mobilisation un peu pathétique - des "nuits debout" en lieu et place d'un autre mai 68 - est tel qu'il n'y a que les supporters d'une équipe de football qui peuvent l'employer de manière évidente. Dans l'histoire, le "nous" masculin, selon le temps et l'espace, a été parfois plus simple. Les prolétaires ont dit "nous", les noirs aussi, les hindous, les africains, ... Alors qu'il est de coutume, chez les leaders qui tentent de créer un espace politique dans les populations, de se référer à ce "nous" historique, ce sont récemment les femmes qui l'ont employé. Et chez nous ? #quésaco.
Bien sûr que dès que le sexe est en question, cela provoque des remous. On aimerait certainement être flatté, mais pas dérangé. Dérangé en quoi ? Le récent mouvement hashtaggué a été l'occasion pour moi de m'interroger plus en profondeur sur les rapports homme-femme. J'ai d'abord regardé ce phénomène sans être surpris. Pour suivre les mouvements alternatifs depuis longtemps, je suis non seulement accoutumé à ces faits mais j'en vois aussi les manifestations et les racines dans mon expérience sociale quotidienne.
Alors que l'opposition des femmes prenaient une tournure plus ample, j'ai comme d'habitude constaté des écueils lourds et pénibles dans la société de l'information, et cette fois d'une façon communément visible, du quidam trentenaire sur youtube ou twitter au psychotique payé pour buzzer dans les journaux ou à la télé. Les rapports homme-femme, le sexe et le territoire.
Un constat sur les hommes
Une des façons de vivre avec un problème est de s'endormir dessus. Cela peut fonctionner à partir du moment où il n'est pas ravivé, remis en perspective. Mais quand cela survient, alors il faut utiliser des stratégies. Nous avons "le chevalier blanc", qui n'aura jamais mis une main aux fesses à une femme, mais qui se sent pris au dépourvu face au fait que des femmes peuvent accuser des hommes pour des motifs qu'il ne peut pas contester. Celui-là est éduqué, compréhensif et ne manque pas de conseiller aux femmes des attitudes qui leur seraient selon lui plus profitables. D'autres parlent plus directement de leur territoire : ils évoquent une non-binarité du comportement sexuel féminin et ajoutent qu'être un homme est du coup difficile. Nous avons aussi le réac, qui lui n'hésite pas à comparer les oppositions aux agressions sexuelles à la collaboration sous Vichy, sans oublier d'affirmer qu'il regrette la révolution sexuelle des années 70. Même en se pinçant le nez, c'est pas évident. A l'extrême limite, celle par exemple qu'illustre si bien Le Figaro pour des raisons monétaires, certains hommes se contenteraient presque de dire qu'avec une petite pipe, une agression sexuelle, ça passerait mieux.
Sur un autre plan, les hommes n'ont généralement que très peu de connaissances sur l'histoire et le contenu des mouvements des femmes. Autre signe pénible, alors qu'une majorité d'hommes et de femmes reconnaissaient, il y a peu et avec admiration, la personne et le travail de Simone Veil, il n'est rien de dire que ce n'est pas elle qui est venue dans les esprits, pour notre renfort à toutes et tous.
Ma question est celle-ci : pourquoi tout cela ? Réponse factuelle : parce que des femmes protestent contre les aggressions sexuelles.
Le fait et les freins sont sous nos yeux. Il s'agit de comprendre l'origine : pourquoi les hommes, face au féminisme, sont d'abord secoués. Il me semble qu'un premier élément serait de remarquer que nous avons une réelle difficulté de perception.
De manière générale, il est très courant, et ceci tout milieu social confondu, de se représenter les femmes via un essentialisme. Il s'agit là d'une perception très commune aux hommes :
"Vous les femmes,
Vous le charme,
Vos sourires nous attirent et nous désarment"
Une vision, sexualisée, qui serait l'idéal du rapport homme-femme vu par les hommes. Vous trouverez dans la littérature la plus sérieuse de nombreux points de vue qui s'appuient là-dessus. Que dire lorsque la réalité n'entre pas dans ce schéma ? Pas de voile donc, et de toute façon elles sont là pour ça ? Bien que ce soit caricatural et hors sol, que se passe-t-il en dehors ? Une majorité d'hommes très mal à l'aise et sur la défensive. En réalité une pauvreté du rapport des hommes aux femmes. Dès lors, les conceptions différentes ont tendance à se poser en entrave et il est courant que les hommes se retrouvent à se défendre contre l'angélisme que contient leur propre perception.
Quand les féministes disent vouloir changer la perception des hommes, c'est le fait d'un constat de leur part. Je ne crois pas que nous puissions encore ignorer notre propre attitude, et si nous ne sommes pas évidemment tous des porcs, il est malhonnête - et nous sommes déjà assez pitoyables - de garder la tête dans le sable. Si nous ne nous interrogeons pas quand la violence masculine est dénoncée, je vois mal quand nous pourrons le faire. Et à ce que je vois dans les médias, ce n'est pas l'élite masculine qui va nous y aider : il y a une attitude sexuée caractéristique des classes sociales supérieures, fondée par leur assurance et leur emprise : je reconnais à cette occasion dans le mainstream des formes communes de diversion dès qu'il s'agit d'une lutte qui remet en question un ordre préétabli.
Les luttes féministes sont des enjeux systémiques : elles sont liées à la fois à une détermination individualiste créée massivement par les sociétés libérales, et à la nécessité d'une réaction qui ne peut être que collective pour briser l'isolement du sujet sans "nous". Les lignes féministes sont aussi diverses que celles de l'impact d'un caillou sur une vitre : ce sont des lignes de ruptures. Le centre sur la matière la plus ancrée est celui de la possibilité d'une construction d'un sujet social et politique.
Peut-être que c'est parce que nous avons été privés de cette expérience relationnelle aux femmes que les réactions des hommes sont aussi gênantes. Si c'est la question des territoires qui surgit dans le masculin, ne serait-ce pas le fait que les femmes ont été effacées d'une construction sociale ? Que nous n'avons empiriquement pas les moyens d'entendre lorsqu'une contestation de bon sens se réveille ?
Les femmes de naissance
Qui veut comprendre les mouvements des femmes ne peut faire l'économie du constat historique. Pour reprendre un des apports de Simone de Beauvoir dans le "Deuxième sexe", des difficultés sont d'abord scellées par ce qui serait un destin. Rien d'autre pourtant qu'un ancrage biologique différent qui construit, par un parallèle apparemment suffisant entre monde humain et monde animal, une catégorie définitive à la moitié du genre humain : celle qui est caractérisée par des force physiques plus faibles et qui enfante doit être faite pour cela, l'autre moitié étant vouée à la guerre.
Je ne peux pas retracer ici et dans le détail les déclinaisons de cette représentation archétypale. Prenez n'importe quel historique et vous n'aurez aucun mal à voir que les prénoms qui y figurent sont masculins. Même dans l'histoire de la cuisine.
Ce n'est pas seulement que les hommes gouvernent et que les femmes s'occupent du foyer. Si les traits les plus saillants de la domination masculine sont évidents pour quiconque voudrait faire preuve d'un peu d'honnêteté, remarquer l'infiltration de cette domination dans la culture populaire nécessiterait malheureusement encore un effort. En psychanalyse par exemple, on a prétendu saisir l'essence, la transcendance n'y échappant même pas, de l'homme et de la femme, dès la petite enfance, par leurs seuls rapports au sexe. Qui sait pourtant aujourd'hui que dès 1905, Freud appuyait sans conteste ses théories sur l'existence d'une bisexualité psychique antérieure à la détermination de la sexualité chez tout être humain.
Si ce n'était pas les curés qui prenaient peur face à la sexualité en morceaux des femmes, au XIXème siècle c'était les médecins qui les masturbaient pour les "soigner" de l'hystérie, alors que celle-ci s'est révélée plus tard être une déviance non genrée (et oui, hommes et femmes compris) dans le mécanisme de transfert : en d'autres termes un manque d'amour et de reconnaissance criant. Mais on a beaucoup évolué dans les institutions du savoir, c'est vrai : le premier livre scolaire à donner une représentation exacte du clitoris date de... 2017.
Oui, un biologisme. Et pas n'importe lequel. Je pressens que les données nous manquent pour caractériser pleinement ce qu'il s'est passé.
Quand, dans d'autres cultures, les femmes n'étaient carrément pas condamnées lorsqu'elles s'intéressaient de trop près au savoir, en Europe, lorsqu'elles avaient droit à une éducation institutionnelle, c'était dans des couvents où la loi religieuse régnait en gardienne du sacré face à l'impure. La Royal Society de Londres et l'Académie Française ont refusé les femmes jusqu'au XXème siècle. Les femmes qui ont pu contribué à la connaissance sont des exceptions historiques.
Comment les mouvement féministes pouvaient-ils éviter de remarquer qu'il y avait dans le rapport homme-femme une construction lié au pouvoir. Que je sache, je n'avais jamais vu de premier Monsieur de France s'occuper d'illettrisme pendant le mandat présidentiel de son épouse. Ce qui n'empêche pas les levées de bouclier quand des femmes parlent de patriarcat. Allez, soyons un peu honnêtes, c'est pas parce que ça ferait un peu pédale ? L'autorité et le pouvoir, sexualisés et masculins ? Non, vous plaisantez.
Le pouvoir et le genre à la base de la société : pour la même ?
Où situer initialement cette présence du pouvoir, à part bien sûr dans les relations de formation à l'expérience du monde, la famille ? Il faudrait pouvoir éviter d'entendre là le préjugé - qui ne vient pas non plus d'un hasard - d'une faute du père. On peut lire des livres d'anthropologie, c'est intéressant. Mais il n'est pas si compliqué d'en comprendre quelques bases, à savoir que la famille est aussi un espace où se créent des alliances entre groupes sociaux par différents contrats, où se transmettent des rapports, des intérêts et des valeurs, et où se reproduit finalement le noyau de toute la société. C'est bien dans la famille que se nouent les rapports les plus intimes au pouvoir.
Combien de systèmes différents pour échanger la fille contre une alliance ? Combien de reniement de la féminité, de voiles tandis qu'on associait ici la chevelure à la prostitution ? Combien de systèmes d'autorité pour placer un tuteur après le père et de patria potesta pour accorder un droit de vie et de mort ? Combien d'isolement physique dans les gynécées et de violences dans les églises ? Combien d'images de pureté et de vertus pour devoirs et droits subordonnés ? Combien de "codes féminins" de soumission à la charge des mères pour leurs filles ?
La dénonciation du patriarcat est initialement la dénonciation du pouvoir qui agit contre l'indépendance des femmes, contre leur liberté. Le patriarcat ne désigne cependant pas le rôle du père, mais celui d'un ordre social exclusif qui contient l'ordre sacré, le territoire et le pouvoir. Je veux faire entendre ici qu'il s'agit d'un enjeu qui concerne aussi la liberté sociale et politique des hommes. Le patriarcat est une ligne de force sociale qui structure tous les sujets, quel que soit leur sexe.
Une structure de pouvoir très dense. Ce n'est que par des bouleversements politiques successifs au XIXème siècle, pour la république et la démocratie, que la première revendication des femmes (le droit à l'éducation, le droit au travail et le droit de vote : le sujet, l'indépendance et la politique) a pu se faire. Autrement dit c'est parce que le pouvoir ne peut à un moment faire autrement que s'assouplir face aux revendications politiques populaires, hommes et femmes confondues. La démocratie est un mot qui s'emploie au féminin et il est difficile de dire s'il s'agit vraiment d'un hasard. La démocratie est une concession de l'autorité, et cela nous concerne toutes et tous (il n'y a que des députés de chapelle pour croire que l'histoire sociale n'est pas celle d'un combat nécessaire). La démocratie, parce que c'est le recul des structures de pouvoir classique, autoritaire et sexualisé, c'est du social et du politique dans un genre à la fois masculin et féminin. Besoin de revenir à Freud et la bisexualité psychique pour une explication plus claire du fondement de la libération du sujet et de la société ?
Des extrêmes normalisées et du normal inaudible
Le deuxième mouvement des femmes concernera leur corps. 100 ans après, il y a seulement deux générations. C'est la première fois que les femmes parleront collectivement d'abus sexuels. La première servitude sexuelle des femmes, celle qui est fondatrice du permis et de l'interdit, est celle des alliances familiales, dont j'ai déjà dit qu'elles inscrivent le pouvoir dans les sociétés. On peut donc comprendre pourquoi des attitudes de domination en ce domaine se retrouve à des niveaux de pouvoir significatif. Si le récent mouvement des femmes a percé la coque dure, c'est peut-être parce qu'elles ont bien pressenti à quel point le pouvoir venait d'un endroit précis à notre époque : du jeu, de l'argent, du sexe et de l'image. A nous les hommes d'en prendre de la graine, et de la sévère, manipulés que nous sommes par ces mêmes idoles devant des débats qui n'en sont pas dès lors qu'une opposition politique tente de se faire entendre dans ce pays (1).
Après plusieurs centaines de siècles d'une nuit opaque, les femmes expirent dans un possible. Qu'on le veuille ou non, la tradition masculine qui s'exerce toujours dans le pouvoir ne favorise pas les nécessités sociales et politiques. Voyez-vous vraiment la guerre au bon endroit ? La demande collective et populaire des femmes dans leur quotidien ne s'articule pourtant qu'autour du partage des tâches. Dans la même ligne, je dirais que le feu aux poudres ne vient pas des mouvements féministes les plus affirmatifs. Le récent "non" collectif a simplement été constitué face à une des formes les plus primitives de la domination masculine.
Ce que je tente de montrer, ce que ce mouvement fait à nouveau résonner, ce n'est pas la guerre des sexes : c'est l'intérêt du genre dans sa nature sociale et politique, l'émancipation que nous devons toutes et tous exiger face à des formes de barbaries et d'exercice de dominations archétypales. Les minorités sont souvent des avant-gardes, et nous devrions y être beaucoup plus attentifs avant de se réveiller avec la gueule de bois. D'autant que c'est bien du féminin qui est au devant des nouveaux fronts, plus ouverts sur le monde, telle que la cause animale ou l'alimentation. Des combats que nous aurons indéniablement à mener, n'en doutez pas !
De nouveaux concepts
Il ne me semble pas inutile de préciser (le plus rapidement possible, je suis déjà trop long) quelques concepts que les mouvements féministes ont produit. Je suis désolé pour l'aspect un peu théorique de ce qui suit, mais les apports sont très intéressants.
Les mouvements féministes connaissent la trahison tout autant que l'intérêt de classe. Toutes les femmes savent qu'il est plus simple de se taire, de subir et même de se soumettre. Parce que nous parlons d'un pouvoir qui a des racines anthropologiques constitutives des sujets sociaux et politiques, elles connaissent aussi leurs propres divisions. Sûrement mieux que les hommes d'ailleurs, tant leurs intérêts ont été liés à la proximité des structures sociales, et pour les raisons dont j'ai déjà parlé : blanche chez les blancs, noires chez les noirs, bourgeoise chez les bourgeois, etc.
Face à cela, trois concepts majeurs sont nés du féminisme.
La sororité
Le premier, celui de la sororité, a pour objet de se défendre d'une symétrie : "faire face à". Face aux divisions internes qu'a expérimentées le féminisme, la sororité n'entend pas signifier une évidence du "nous". Le terme "solidarité" que nous employons a à se nourrir de cette expérience sociale. La sororité concerne un "nous" qui suppose "le conflit à l'intérieur et la capacité à affronter les désaccords", par le moyen de la réflexivité.
Prenons un exemple dans le show-business. Il n'est pas rare de voir des femmes dans des clips vidéos se vêtir bas de nylon et jouer de toutes les attitudes sexuées. On pourrait remarquer la même chose dans le cas de tenues de ville un peu "brutales". Comme l'explique Estelle Ferrarese (2), ce qui s'exprime là, s'il s'agit d'un registre qui met en avant une ligne classique du féminin contemporain, est en fait plus simple que ce qu'il n'y paraît : "c'était comme ça je fais comme ça". Une réaffirmation, au fond, d'un rapport qui n'a rien de nouveau.
Pourtant, ne serait-ce pas là non plus une expression féministe ? Serait-elle vraiment possible pour des femmes cantonnées au foyer ? La libération sexuelle des femmes a aussi pris des allures populaires et les contradictions auxquelles elles ont à faire me semblent aussi être le fait d'une longue ligne de domination masculine. On a peut-être bien oublié que dans l'expression "libération sexuelle" existe aussi le mot "libération". Il est indéniable que ces femmes ont permis, par leur image, un avenir moins brimé à d'autres femmes, celles de notre génération.
L'intersectionnalité
Toujours face aux divisions des femmes en fonction des classes sociales, de leur histoire, de leurs religions, de leur couleur de peau, les féministes ont proposé une méthode d'analyse visant à lier les formes de domination et de discrimination entre catégories. Il s'agit d'un concept motivé par le souci d'une convergence des luttes. Si l'analyse catégorielle est efficace quand il s'agit de comprendre "classiquement" le monde social, l'intersectionnalité souligne en effet des angles morts de cette analyse, c'est-à-dire qu'elle révèle des catégories cumulatives où s'exercent des rapports d'inégalités et de discriminations. Des composantes communes aux individus sociaux, sujet à une condition, participant à un tout qui les structure pourtant en comportements différenciés.
C'est un concept général qui est pertinent si on veut montrer des violences transversales et qui peut apporter un outillage théorique, comme le proposent les sociologues Elsa Dorlin ou Eric Fassin. Le mouvement de la France insoumise parle d'un intérêt général humain et le définit d'une certaine manière. Bien que cela soit motivé par le même universalisme, ce n'est pas une question qui choque ou qui fait débat. On y trouve plutôt un certain bon sens et une utilité pour penser les choses.
Et pourtant. L'intersectionnalité, parce qu'elle s'est appliquée aux femmes, a révélé le caractère social et culturel complexe de l'universalisme. L'utilisation conjointe de la sororité et de l'intersectionnalité me paraît dès lors compléter cette idée d'intérêt général humain. D'une part en le précisant d'une manière genrée, ce dont j'espère avoir montré plus haut l'intérêt et d'autre part, parce que justement, il me paraît important d'intégrer des éléments permettant de saisir la complexité quand on parle de totalité.
En effet et par exemple dans une culture populaire qui vit par endroit une mixité ethnique de façon rude et brutale - et bien sûr sans autre forme de théorisation fonctionnelle de la part des décisionnaires - il est plus que délicat d'imaginer pouvoir parler d'un universalisme vues les contradictions internes que cela pose. Intersectionnalité et sororité sont deux concepts alliés pour cela, qui à mon sens enrichissent ceux d'universalisme et de solidarité.
Le genre
Bien sûr. J'espère pouvoir faire pressentir à nouveau en quoi il est fondamental à une critique de la domination et à une émergence de sujets sociaux et politiques. Le genre est ce qui rend la lutte intelligente contre la pure autorité, celle qui oppresse les hommes comme les femmes. Dès lors il ne s'agit plus d'opposer les hommes et les femmes à travers leur sexe, mais de reconnaître les forces masculines et féminines qui les traversent, eux, les structures et toute la société.
Le genre est un concept très puissant. Il est en effet apte à refonder à lui seul la structure de classe sociale dans le sens où il définit ce qui exerce le pouvoir et ce qui le subit. Mais plus que cela : il est aussi un concept potentiellement réflexif, dans la mesure où il dégage le comportement de la sexualité. Le genre libère du biologisme et des déterminismes du pouvoir. Il donne à la personne des éléments aptes à rendre plus libre. Appelez cela ying et yang si vous voulez. Et curieusement, vous serez plus proche de votre corps, tant la nature profonde des choses est ambivalente et dynamique.
Pour conclure
Lorsque les femmes demandent à être entendues, elles sortent d'une ombre séculaire. Mais elles ne font pas que cela : elles prennent une place sociale et politique sur le terrain, dont on sait qu'il est structurellement organisé de façon masculine. En réaction les hommes autoritaires, ceux qui ferment le pouvoir sur lui-même, conservent leurs attitudes, et usent pour cela de stratégies. Vous en trouverez mille exemples.
Nous ne sommes globalement pas assez plastiques, pas assez expérimentés dans ce domaine. La promesse du genre, c'est de pouvoir, non pas céder de la place, mais gagner de la liberté, si profondes que puissent être nos racines identitaires. Le problème global des hommes dans leur rapport aux femmes est bien celui-là.
"J'ai changé, toi non plus", résumait déjà Elsa Dorlin dans Mouvements en 2007. Alors je terminerai sur un exemple que je considère comme étant une réussite dans ce domaine : celui, il y a quelques temps déjà, de la lutte des pères pour la garde des enfants. Il était encourageant et revivifiant de constater que le terrain traditionnellement laissé aux femmes, et auquel justement elles ne veulent pas être limitées, soit investi par des hommes. Il est sain que le genre agisse ainsi, qu'une lutte puisse s'extirper de ses conditionnements.
Voilà où nous devons avancer, nous les hommes. Pour une société moins oppressive. Et si nous arrivons un jour à cette égalité bien terrienne, alors nous verrons mieux ce qui nous rassemble. Nous serons peut-être alors plus aptes à affronter les grands problèmes qui nous attendent, tandis que se fait, depuis trop longtemps maintenant, le monde sur nos yeux clos.
Merci pour votre lecture !
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(1) Je fais couramment de la France insoumise une référence politique. Parce que je crois d'abord à la dialectique et que si mon inclinaison est socialiste, il n'existe pas aujourd'hui de parti pour le représenter. En ce sens, je soutiens la FI comme seul mouvement d'opposition sérieuse capable de faire bouger les lignes.
(2) Estelle Ferrarese, "Trouver le nous des luttes féministes"
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