Ces réflexions sur la langue française me rappellent une
anecdote que racontait Manu Dibango.
Fils d’un père modeste fonctionnaire camerounais et d’une
mère couturière, il fit ses études primaires chez les petits blancs dans une école administrée par des religieux.
Il apprit le français jusqu’à utiliser dans la conversation
courante, avec ses camarades, le subjonctif dans toutes ses formes mais sans
forfanterie, régulièrement et tout à fait naturellement.
La concordance des temps était devenue un réflexe mécanique.
C’est dire la qualité de l’enseignement dispensé et l’intelligence de l’élève.
Quant à moi, lorsque arriva la loi de la concordance des temps (pour notre prof c’était mieux quela règle !) j’eus des doutes sur mes
capacités intellectuelles.
Certificat d’études obtenu, son père l’envoya en France pour
compléter son éducation.
Pris en charge par une association protestante, il s’insère
parfaitement et surprend ses hôtes par son vocabulaire et sa dextérité à naviguer
dans la conjugaison ; mais ils s’étonnent mutuellement lorsque le
subjonctif arrive dans les conversations.
Il faut l’écouter raconter, avec son bon rire, les yeux
exorbités de ses auditeurs quand ils l’entendaient développer ses jolies
phrases ; il parlait effectivement comme un livre mais d’une époque proche
de Diderot et de Voltaire.
Dibango a dû réapprendre à éviter d’utiliser le subjonctif à
tout propos. Aujourd’hui il ne s’en sert, taquin, que comme une coquetterie
pour faire comprendre qu’il n’a rien oublié.
Petite remarque sur les phrases sans verbe : c’est le Graal
des bons écrivains désireux d’un siège à l’Académie française.