Soupçons d’emplois fictifs et
comptes de campagne : les deux affaires qui visent Mélenchon.
La France insoumise de Jean-Luc
Mélenchon se trouve au cœur de deux enquêtes que les perquisitions
du 16 octobre ont remises en lumière.
Enquête n° 1 : les soupçons
d’emplois fictifs au Parlement européen.
[ ... ]
Enquête n° 2 : les
irrégularités des comptes de campagne de La France insoumise.
La seconde enquête concerne les
comptes de la campagne de Jean-Luc Mélenchon pour l’élection
présidentielle de 2017. Après l’examen des documents comptables
communiqués par La France insoumise, la Commission nationale des
comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a, comme
le prévoit la loi, publié lesdits comptes et les a validés le
13 février, ouvrant le droit à un remboursement par l’Etat.
Mais, dans le même temps, la CNCCFP a
noté plusieurs irrégularités et a dû retrancher 434 000 euros
de dépenses qu’elle a considérées comme non liées à « la
sollicitation des suffrages des électeurs ». Un élément
qu’on retrouve dans beaucoup de comptes de campagne. Mais la
commission a estimé cette fois que ces irrégularités constituaient
des infractions pénales. Le président a donc transmis, le 16 mars,
comme la loi le lui oblige, le dossier à la justice.
Le parquet de Paris a pris la suite et
ouvert une enquête préliminaire en avril pour « escroquerie
et tentative d’escroquerie », « abus de confiance »,
« infraction à la législation sur le financement des
campagnes électorales » et « travail dissimulé
aggravé ». Le procureur de Paris, François Molins, a saisi
l’OCLCIFF afin d’enquêter sur une « éventuelle violation
des prescriptions du code électoral relatives au financement des
campagnes électorales ».
Plusieurs éléments posent des
questions dans les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon,
provenant de deux structures extérieures à la campagne : la
société Mediascop, qui s’occupait des opérations de
communication et qui a facturé 1,161 million d’euros de
prestation à l’association de campagne de Jean-Luc Mélenchon, et
l’association l’Ere du peuple, qui a facturé 440 027 euros
de prestations diverses (conception de site, régie de meetings,
communication, gestion des événements) :
-
onze prestations de Mediascop ont
été jugées surfacturées par la CNCCFP pour un surcoût de
35 000 euros, retoqué par la commission ;
-
presque la moitié des factures de
l’Ere du peuple a été jugée non remboursable par la commission
(190 000 euros sur 440 000 euros dépensés).
L’enquête préliminaire a donc pour
objectif de déterminer si La France insoumise et les responsables de
sa campagne électorale ont tenté de se faire rembourser par l’Etat
des sommes qui, soit n’ont pas de lien avec la sollicitation des
électeurs, soit ont été artificiellement gonflées dans un but
d’enrichissement.
Un soupçon renforcé par la double
casquette de Sophia Chikirou, l’une des personnes au centre des
questions des enquêteurs. Sophia Chikirou, qui a rejoint Jean-Luc
Mélenchon en 2008, a été lors de la campagne à la fois la
directrice de la communication du candidat insoumis… et l’unique
actionnaire et présidente de Mediascop, la société qu’elle a
cofondée en 2012 et qui a été la principale prestataire de la
communication de la campagne. Sophia Chikirou, en tant que directrice
de la communication, pilotait donc des opérations qu’elle
facturait principalement à Mediascop, sa propre société.
Un conflit d’intérêts manifeste qui
est accrédité par le témoignage d’un ancien employé de la
société interrogé par Radio France :
« A la fin de la campagne, Sophia
est venue nous voir. Elle nous a demandé de faire la liste de toutes
nos réalisations, jusqu’au moindre visuel, il fallait absolument
tout lui lister. Ensuite, elle a appliqué des tarifs pour chaque
opération que nous donnions. »
En parallèle de ces possibles
surfacturations, la société de Mme Chikirou a attiré l’attention
des enquêteurs par sa rentabilité bien au-dessus des chiffres
habituels pour ce genre de prestataire. Inactive depuis 2013,
Mediascop retrouve son activité au moment où sa présidente intègre
la campagne de Jean-Luc Mélenchon, en septembre 2016. Durant
quatre mois, Mediascop réalise un chiffre d’affaires de
162 900 euros pour un bénéfice net après impôt de
76 000 euros, soit une marge nette exceptionnelle de 47 %.
Si Mediascop a réussi à dégager de
telles marges, c’est parce que la société a de très faibles
charges : elle n’a pas de locaux (tous ses employés
travaillent au QG de la campagne) et refacture toutes ses charges de
fonctionnement à l’association de financement de la campagne, une
pratique inhabituelle qui a permis à la société d’engranger de
gros bénéfices, et à sa présidente de se verser 64 000 euros
de dividendes et 6 750 euros de rémunération de
dirigeante pour les quatre derniers mois de l’année 2016.
Ce sont les derniers chiffres
disponibles de la comptabilité de l’entreprise, Mme Chikirou
ayant changé le 31 mars 2017 le statut légal en société par
actions simplifiées, ce qui ne la contraint plus à publier ses
comptes annuels. Mais les nombreuses factures communiquées à la
CNCCFP permettent d’estimer à environ 15 000 euros
mensuels, en moyenne, la rémunération du travail de Sophia Chikirou
pendant les huit mois de la campagne, là où les employés de
Mediascop émargeaient pour beaucoup entre 1 500 et 2 000 euros
par mois. D’autres membres de la campagne, en découvrant les
factures, ont affirmé à Radio France avoir travaillé bénévolement
à des tâches qui ont été facturées par Mediascop.
Des informations qui pourraient prendre
une dimension nouvelle depuis que Mediapart a révélé le 19 octobre
que Sophia Chikirou entretient de longue date une relation
« extra-professionnelle » avec Jean-Luc Mélenchon. De
fait, note Mediapart, les sommes perçues par Mme Chikirou
l’auraient été « à l’occasion d’une campagne
présidentielle dirigée par un homme politique avec lequel elle
partage une relation intime régulière ».
Quant à l’association l’Ere du
peuple, la CNCCFP a noté que la rémunération des salariés
comportait une majoration variable selon qui était mobilisé, sans
que la commission trouve de justification à ces majorations
inégalitaires dont elle estime le surcoût à 152 000 euros.
L’association ayant eu un rôle réellement structurant dans la
campagne de Jean-Luc Mélenchon, la logique aurait commandé que
l’Ere du peuple ait le statut de parti politique, comme l’observe
Mediapart, avec toutes les obligations de transparence financière
qui vont avec.
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/10/23/soupcons-d-emplois-fictifs-et-comptes-de-campagne-les-deux-affaires-qui-visent-melenchon_5373413_4355770.html