"Une patrouille de Mirage 2000
français a procédé dimanche dans le nord du Tchad, dans le Tibesti, à
des frappes, en appui de l’armée tchadienne, pour arrêter une colonne de
40 pick-up – les chiffres divergent — d’un groupe armé en provenance de
Libye. C’est ce qu’a annoncé lundi, le ministère français des armées.
Le colonel Azem Bermendoa Agouna, porte-parole de l’armée tchadienne a
indiqué, je cite : la « colonne de mercenaires et terroristes » a été « neutralisée et mise hors d’état de nuire par nos forces aériennes appuyées par les forces Barkhane ». Accord d’assistance avec notre allié dans l’opération Barkhane au Mali. Tout est donc parfait…
En fait, non. Déjà parce qu’en lieu et place de terroristes, c’est une
colonne de l’Union des forces de la résistance, l’UFR, qui a été mise
hors d’état de nuire. L’UFR est un mouvement de rébellion interne au
Tchad, dirigé par Timane Erdimi, qui n’est autre que le neveu du… chef
de l’État tchadien, Idriss Deby, et membre comme lui de l’ethnie des
Zaghawa, originaire du nord-est, soudanaise en fait.
La France est
donc intervenue dans une affaire de politique intérieure et non dans le
cadre d’une opération de défense des frontières, comme on aimerait nous
le faire croire.
C’est la même rébellion qui, en 2008, avait
atteint les faubourgs de N’Djamena et failli renverser le pouvoir du
président Idriss Déby… avant que l’armée française n’intervienne après
avoir contraint le Président tchadien à faire preuve de moins
d’autonomie qu’il ne le souhaitait… La « Françafric » que nous
dénoncions dans notre dernière édition tourne à plein régime, et la
lutte contre le terrorisme a toujours le dos large. En Afrique, pour
imposer ou maintenir des dirigeants complaisants avec des
multinationales apatrides. En France, pour réduire nos libertés tout en
nous maintenant dans une insécurité permanente.
Mais l’intervention de l’Armée de l’air française, au demeurant fort réussie, est éclairée par une tribune de Libération, en date du 21 janvier dernier.
Sous le tire fort évocateur d’ « Alexandre Benalla, pour tout l’or du Tchad »,
l’écrivain Thomas Dietrich, qui est aussi un ex-fonctionnaire fin
connaisseur du Tchad, lève le voile sur l’excursion d’Alexandre Benalla
au Tchad, en compagnie de son nouveau mentor, le sulfureux homme
d’affaires israélien Hababou Solomon. Escroc condamné, impliqué dans un
trafic de pétrole avec des islamistes, l’homme est aussi un agent du
Mossad qui a fait venir des mercenaires israéliens à N’Djamena pour
monter, dès 2006, une cellule d’écoutes téléphoniques. Il est aussi à
l’origine de la visite d’Idriss Déby à Tel-Aviv, fin novembre, alors que
les relations diplomatiques entre les deux états étaient rompues depuis
1972. Visite qui se conclura par une vente d’armes… Moins d’une semaine
plus tard, Hababou Solomon vient chercher sa rétribution pour ses bons
offices, sa diplomatie de l’ombre en Israël, mais aussi au Quatar. La
délégation de dirigeants de la société turque Sur Internationalqui
les accompagne et qui vient vendre des uniformes militaires est un
leurre, une simple couverture selon Thomas Dietrich et il poursuit :
Hababou Solomon et Benalla ont des ambitions de Rockfeller plutôt que de
fripiers.
Au soir du 3 décembre donc, Hababou Solomon
annonce à Idriss Déby que des investisseurs qataris sont prêts à se
lancer dans l’extraction de l’or du… Tibesti.
Et oui. Pendant
trois ans, de 2015 à 2018, des experts du Bureau de recherches
géologiques et minières, le BRGM, un organisme public français ont
cartographié les ressources minières de l’ensemble du territoire. Dans
la région du Tibesti, ils ont découvert des quantités incommensurables
d’or. De quoi sauver le pays, puisque le régime tchadien ne tire
pratiquement plus aucun bénéfice de l’exploitation de son pétrole, qui
se monte pourtant à 170 000 barils par jour. Des banques, des
multinationales et le clan Déby pillent tout. Les Panamas Papersont
estimé les détournements de fonds du clan Tchadien à plus de
17 milliards d’euros… Le Tchad est actuellement classé 186e sur 189 à
l’indice de développement humain des Nations unies. Nous vous le disions
dans notre édition du 18 décembre dernier, Macron a fort généreusement
prêté, sur 20 ans, trente millions d’euros qui ont servi à payer les
salaires de décembre des quelque 90 000 fonctionnaires civils tchadiens
et plus de trois mois des retraites. On l’aura compris, l’or du Tibesti
est donc la seule chance pour le Clan Déby de se maintenir en place.
Mais pour exploiter cette manne, avant que des multinationales ne
s’installent dans les zones aurifères et ne puissent exploiter de
manière industrielle le précieux métal, il faut chasser les orpailleurs
qui s’y sont installés. C’est précisément à ce moment-là, en août, que
les bombardements de l’aviation tchadienne commencent. Mais les
orpailleurs ne s’en laissent pas conter et prennent les armes, s’alliant
avec les rebelles du CCMSR (Conseil de commandement militaire pour le
salut de la République), d’origine Toubou, et les membres de l’UFR, que
notre aviation vient gentiment d’exploser… dans le Tibesti, justement.
Si Hababou Solomon a amené dans ses bagages Alexandre Benalla, c’est
pour convaincre Idriss Déby que la France suivra. Car Déby en est
persuadé : en s’adressant à Benalla, il parle à l’oreille de Macron.
Est-ce réellement le cas ? Macron a-t-il fait de son ancien garde du
corps l’instrument d’une diplomatie parallèle ? L’Élysée a toujours
affirmé tout ignorer de l’équipée de Benalla en terre tchadienne,
passeports diplomatiques en poche. Mais les faits sont têtus. Les 22 et
23 décembre, le président français s’est rendu à N’Djamena et a affiché
un soutien indéfectible à Idriss Déby. Et surtout il l’a assuré de
l’appui des forces françaises stationnées à N’Djamena, à Abeche et à
Fayau-Largeau. Logistique, renseignement, formation, hôpitaux de
campagne… Et quand cela ne suffit pas, comme en ce début février ou en
2008, une intervention directe par l’aviation ou les commandos.
Évidemment, à Paris, tout va bien. Dans son courrier aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat pour les informer a posterioride
l’opération française, conformément à l’article 35 de la Constitution,
le Premier ministre, Édouard Philippe, a évoqué je cite : « la demande d’assistance du président de la République du Tchad, Idriss Déby » sans faire mention bien sûr, de ces problèmes d’or et d’orpailleurs-rebelles.
Alors quand on voit le degré de pourrissement à la tête du pays, où
les barbouzes de l’Élysée fricotent avec celles de Matignon, à travers
des sociétés anonymes qui vendent protection et renseignements, le
peuple français est en droit de se demander, si au Tchad comme trop
souvent ailleurs, les intérêts supérieurs de la Nation ne sont pas
bradés par des criminels qui privatisent ce qui reste de la puissance
publique de notre pays, dans des opérations très lucratives.
Malheureusement, les réponses ne nous viendront pas des sables du Tibesti. Les cadavres des orpailleurs ne parleront plus…"